Search

L’automobile et les femmes, une longue histoire d’amour - Challenges.fr

Le 5 août 1888 est un jour historique dans l’histoire de l’automobile. Pour la première fois, une voiture, le tricycle Benz, effectuait un trajet dépassant le simple cadre des tours de pâté de maison à fins de tests. Aux commandes, ce n’est pas Karl Benz, le créateur de l’engin, mais sa femme, Bertha Benz, qui a eu le courage de se lancer dans ce qui relevait alors de l’épopée (lire notre article sur le voyage de Bertha Benz). Toujours en Allemagne, Daimler fait partie des pionniers du moteur à explosion. En France, Edouard Sarazin devient son agent et espère vendre des moteurs à Emile Levassor. Alors que son décès brutal peu avant Noël 1887 semble tout remettre en cause, sa veuve Louise reprend les rênes avec talent et énergie. Dès 1888, elle obtient la concession exclusive et le droit d’exploitation des brevets Daimler pour la France. Les moteurs Daimler seront à l’origine de l’industrie automobile française : la diffusion de ces mécaniques par Louise Sarrazin a suscité les vocations de Panhard & Levassor, ainsi que de Peugeot.

Ces deux femmes ont eu un rôle primordial dans l’industrie automobile. La première en démontrant que l’invention était utilisable, la deuxième en permettant à deux industriels de débuter leur activité. Ce ne sont que deux exemples frappants, deux chapitres d’une longue histoire que Serge Bellu relate dans son livre intitulé La Véritable Histoire de la femme et l’automobile. Il y eut des dirigeantes d’entreprise, des pilotes capables de dominer leurs concurrents sur la piste (on pense notamment à la Française Michèle Mouton, vice-championne des rallyes en 1982 au volant d’une Audi Quattro S1) et, pourtant, les femmes sont encore rares aux postes-clés dans l’automobile.

L'automobile a permis aux femmes d'affirmer leurs droits

C’est une histoire sociale qui s’étend sur plus d’un siècle. Passionnante, liée à l’Histoire. Car si certaines femmes on fait avancer l’automobile, l’automobile a aussi fait avancer la cause féminine. En octobre 1930, Juliette Bruno-Ruby écrivait dans Le Figaro Artistique: "L’automobile sera non seulement la marque d’une époque, mais le symbole de la libération de la femme, elle aura fait pour briser ses chaînes, beaucoup plus que toutes les campagnes féministes et les bombes de suffragettes. Du jour où elle a saisi un volant, Eve est devenue l’égale d’Adam". Cette libération s’est faite au fil des aléas de l’Histoire, en particulier des guerres qui ont mis les femmes au volant, des ambulances en particulier. A travers des personnalités marquantes, aussi, comme Françoise Sagan, grande amatrice de bolides.

Le livre de Serge Bellu, émaillé d’une plume virtuose et d’une iconographie riche, est immanquable. Mais nous ne pouvions aborder le sujet sans évoquer Anne-Charlotte Laugier, une auteure qui considère l’automobile comme un instrument de liberté au féminin. Elle a écrit un roman pétillant et drôle, Journal d’une pétasse au volant**. Journaliste automobile, elle a inventé une héroïne, un peu autobiographique, qui n’a peur de rien en voiture. Plutôt que d’en déflorer l’intrigue, nous avons préféré laisser la parole à l’auteure.

Challenges: Pétasse, ça ne paraît pas très féministe comme nom d’héroïne…?

Anne-Charlotte Laugier: "Pétasse", ça fait partie du top 5 des insultes utilisées par les hommes au volant envers les femmes. Les seules personnes à pouvoir l’utiliser, c’est bien nous-mêmes! Pour combattre les clichés, c’est mieux d’ajouter de l’autodérision, on en manque. En rire, ça permet aussi de faire passer la pilule. Je voulais transformer cette insulte de "pétasse" pour la rendre sympa, un peu comme Coluche l’a fait avec "enfoiré". Ma pétasse, c’est tout simplement devenue une fille qui se la pète avec classe. Elle sait déjouer les pièges de la vie avec hauteur, plutôt que se noyer dans un verre d’eau. Ce n’est pas une victime, elle affronte les problèmes avec force. Elle rebondit, contourne les obstacles machistes. Ce n’est pas féministe traditionnelle, c’est au-delà, elle est insaisissable. Je la voulais transgressive, moderne, trash.

Comment est venue l’idée de ce livre?

Je travaille dans l’automobile et l’aspect sociétal m’a plu. Je me suis intéressée aux femmes au volant, qui s’affirment dans la société en utilisant leur auto pour aller où elles veulent quand elles veulent. C’est pour ça que nombreux sont les mâles qui rechignent à acheter une voiture à leur femme. Il y a un enjeu de liberté! Il vaut mieux avoir une bagnole qu’un mec. C’est l’accès au voyage, à l’indépendance, au rêve. On est plus rassuré quand on a une voiture. Ma pétasse en remontre aux garçons parce qu’elle s’y connaît en mécanique. C’est un fil rouge que je trouve drôle, qui casse le bastion masculin de la bagnole.

Votre héroïne conduit un petit coupé, type de modèle en voie de disparition. Un choix hédoniste bien éloigné des séries limitées développées par certains constructeurs pour viser une clientèle féminine. Que pensez-vous de ces versions spéciales?

On pense toujours que la voiture pour les femmes existe mais ce n’est pas le cas. On ne peut pas nous mettre dans des cases. Les séries limitées ne sont que de simples vitrines pour les constructeurs. Les nanas ont des goûts bien plus diversifiés. Cela aurait été trop attendu de faire rouler mon héroïne dans une Mini ou un pot de yaourt. 

 Il y a très peu de femmes journalistes automobiles. Pensez-vous que la situation est en passe d’évoluer?

C’est drôle, quand je suis arrivée dans ce métier il y a dix ou douze ans, on me disait déjà qu’il y aurait plus de femmes. J’attends toujours. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes maintenant? Je ne sais pas… Alors que, bizarrement, une femme sur deux conduit. Les journalistes ne sont que des mecs, les essais ne sont faits que par des mecs. Je suis partie de la presse auto traditionnelle justement parce qu’on ne me faisait essayer que des citadines, les mecs se réservaient les Porsche. Ce n’est pas demain la veille que ça va changer, surtout que beaucoup de blogs féminins sur l’automobile ont fermé ces derniers temps.

Quel est le futur de la "pétasse" au volant?

 Je suis en train de travailler à une adaptation au théâtre, avec un metteur en scène. On est déjà à la moitié du spectacle, qui doit durer une heure. Cela devrait être prêt pour 2022. Et en septembre, le deuxième tome arrive: La Pétasse biodégradable!

*La Véritable Histoire de la femme et l'automobile, par Serge Bellu, éditions Glénat, 192 pages, ISBN 97823440444339, 35 €

**Journal d'une pétasse au volant, par Anne-Charlotte Laugier, éditions Ramsay, 130 pages, ISBN 9782812201523, 16,90 €

Let's block ads! (Why?)

https://www.challenges.fr/automobile/beaux-livres/l-automobile-et-les-femmes-une-longue-histoire-d-amour_754512

Bagikan Berita Ini

Related Posts :

0 Response to "L’automobile et les femmes, une longue histoire d’amour - Challenges.fr"

Post a Comment

Powered by Blogger.