Considérant que les voitures petites et légères sont plus vertueuses, Paris veut revoir les règles de l'UE sur le CO2 qui favorisent les grandes voitures.
La taxation au poids, avancée en novembre dernier par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, n'était pas qu'un coup d'essai. Évacuée par la grande porte, elle revient par la petite fenêtre au travers d'une attaque plus sournoise mais qui, il est vrai, n'est pas sans fondement. Seul réel problème, elle vise les grandes voitures, les plus lourdes aussi, considérant sans doute que les besoins d'une famille moyenne peuvent être parfaitement satisfaits en France par une Renault Clio ou une Peugeot 308, plutôt que par une Mercedes Classe E, une BMW X6 ou une Audi Q5. Voire une Volvo, une Jaguar ou un Range Rover.
En effet, l'idée plutôt ingénieuse du gouvernement français, passé maître dans le tricotage fiscal, consiste à revoir les règles européennes sur les émissions de CO2 des voitures, estimant qu'elles favorisent les gros véhicules plus polluants. On imagine déjà que la démarche va être interprétée comme une déclaration de guerre à l'égard des Allemands.
Nos voisins défendent bec et ongles leurs prérogatives, et c'est même comme cela qu'ils avaient obtenu un aménagement de la règle uniforme des 95 g de CO2/km à respecter « à compter » du 31 décembre 2020. Et les pénalités tomberont ensuite avec le calcul effectué sur les véhicules réellement vendus, durant les 12 mois, à l'unité près !
Chacun son défi à relever
Or, le défi n'est pas du tout le même lorsqu'on s'appelle Toyota, fortement orienté sur l'hybride, et Mercedes, historiquement installé sur le haut de gamme. Selon l'organisme spécialisé Jato Dynamics qui a établi un classement par constructeur, c'est même le grand écart.
Toyota occupe la première place fin 2018, derniers chiffres connus, avec des émissions moyennes de CO2 de 99,9 g/km, soit les plus basses parmi les vingt marques les plus vendues en Europe. Les marques françaises occupent une bonne position avec Peugeot en seconde place (107,7 g/km), Citroën ensuite (107,9 g/km) et Renault en quatrième place (109,1 g/km). Il y a évidemment des mauvais élèves avec Mazda par exemple (135,2 g/km), qui est 19e, mais tient des solutions très originales, et Mercedes-Benz (139,6 g/km) qui occupe la dernière position.
La mise au pilori du diesel n'a pas arrangé les affaires, car ses ventes permettaient d'atteindre plus facilement l'objectif avec des émissions inférieures de 20 % à celles de l'essence. Ajoutons à cela l'essor des SUV, coqueluche des ventes, mais qui structurellement consomment plus qu'une berline équivalente. Il est assez cocasse cependant de rapprocher leur cas de celui des monospaces qu'ils ont dans les faits remplacés. L'opprobre aurait-il été le même si ces monospaces à destination plus ouvertement familiale avaient survécu ?

Range Rover, ici avec le Velar, était très exposé aux taxes avec la stigmatisation du diesel. L'introduction de versions électrifiées aidera à verdir son image.

L'Audi Q5 est l'un de ceux qui a aidé au transfert des familles du monospace vers le SUV. Avec l'hybridation, il peut abaisser ses émissions mais la France veut le taxer au poids
© Lustig, Roland (I/GP-P) / AUDI AGPartant de plus haut, avec des voitures plus grandes, le parcours des Allemands notamment, mais aussi des Anglais, pour atteindre l'objectif apparaissait insurmontable dans les délais. Un correctif a donc été négocié, permettant aux « poids lourds » du secteur de dépasser encore de quelques grammes la limite fatidique. Il y a aussi l'exemple de Fiat, pourtant spécialiste des petites voitures, mais qui avec Chrysler et Jeep est très loin de la norme et rachète à Tesla des crédits C02 à déduire de son score. Un tour de passe-passe limite mais toléré qui aurait permis à Tesla de financer sa nouvelle usine de Berlin.
Deux poids, deux mesures
« Il y a quelque chose d'un peu absurde dans les textes européens actuels, c'est le fait que quand les véhicules sont plus lourds, alors ils ont le droit d'émettre plus de gaz à effet de serre. Dans les discussions que l'on va reprendre au niveau européen […], on va remettre en cause cette absurdité », a déclaré à des journalistes la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne, lors de ses vœux à la presse.
Elle a clairement ciblé l'Allemagne, sans la nommer : « Je pense que la flambée des SUV [4x4 et crossovers, NDLR] découle aussi de cette réglementation dont on sait qu'elle est soutenue par l'un de nos grands voisins européens. »
Et comme 2020 est l'année de transition, où les constructeurs automobiles doivent respecter sur leurs ventes de voitures neuves en Europe des émissions moyennes de CO2 inférieures à 95 grammes par kilomètre, l'enjeu devient stratégique dans le rapport de force à l'intérieur de l'Europe. La sanction ? Chaque gramme en excès leur coûtera 95 euros multiplié par le nombre de voitures vendues dans l'Union européenne. En cas de non-respect, les amendes pourraient se chiffrer en centaines de millions d'euros.
Alors que les Allemands notamment sont avantagés, les constructeurs les plus « vertueux » en Europe en matière de CO2, notamment Toyota, Renault et PSA, sont à l'inverse pénalisés, car ils se voient imposer un objectif un peu inférieur à 95 grammes, plus difficile à atteindre.
« Tous les textes européens doivent encourager des véhicules qui émettent le moins possible de gaz à effet de serre et non pas donner un bonus à des véhicules qui pèsent plus lourd », a estimé vendredi Mme Borne. Un jugement qui a en effet tout son poids. Et la règle actuelle de dépassement des 95 grammes de C02 n'est qu'un palier.
L'ouverture faite aux Chinois
Ces plafonds européens seront encore abaissés de 15 % en 2025 et de 37,5 % à l'horizon 2030, comme si toutes les courbes pouvaient être prolongées vers le bas. C'est ce que croient les fonctionnaires de l'Union européenne qui ne voient absolument pas en quelle position de faiblesse ils placent toute leur industrie automobile, contraignant les constructeurs à une électrification accélérée de leurs gammes. Un choix technique fondamental imposé par une règle certes écologique mais aussi fiscale.
Quel secteur de l'industrie se voit affublé d'un tel carcan à l'intérieur même de l'Europe alors que la compétition est mondiale ? Il est clair que, sur le modèle de celui qui scie la branche sur laquelle il est assis, l'on fournit ainsi des armes aux nouveaux dragons de l'automobile, chinois en tête, pour investir un secteur crucial pour l'économie européenne. D'aillleurs, les constructeurs européens, Carlos Tavares en tête (PSA), ont souvent dénoncé un effort jugé trop important qui menacerait leur rentabilité et donc l'emploi dans la filière.
Dans ce contexte malsain de chasse aux sorcières qui amuse beaucoup les Chinois, les 4x4 urbains ou SUV ont été épinglés en octobre par l'Agence internationale de l'énergie (AIE), selon qui la multiplication de ces véhicules a représenté la deuxième source d'augmentation des émissions de CO2 dans le monde entre 2010 et 2018.
Très à la mode, ces véhicules surélevés et plus lourds que des berlines, donc moins sobres, représentent désormais plus de 40 % des ventes automobiles dans le monde. Une caractéristique qui avait poussé Bruno Le Maire à avancer en novembre l'idée d'une taxation au poids qui revient sous une autre forme.
« Je souhaite que nous révisions cette procédure et que nous ouvrions un débat […] pour voir si ces règles de CO2 qui sont indexées sur le poids des véhicules ont encore du sens aujourd'hui », avait-il dit lors de l'émission BFM Politique de BFM-Le Parisien.
Sans attendre, la France a mis en œuvre des taxes qui pénalisent les gros véhicules. Le gouvernement a notamment alourdi au 1er janvier le malus pour l'achat d'une voiture émettant plus de 184 grammes de CO2 au kilomètre, qui atteint désormais 20 000 euros contre un malus maximum de 12 500 euros précédemment.
« Je ne vois pas pourquoi le malus serait progressif pour tous les véhicules jusqu'à 172 grammes et serait ensuite plafonné : plus vous polluez, plus vous payez, c'est un principe auquel nous croyons », avait déclaré M. Le Maire à l'Assemblée nationale.
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