Il pilotait une Formule 1 avant même la création du championnat du monde, en 1950, et fut le coéquipier de l’Argentin Juan Manuel Fangio. Surnommé le « champion sans couronne », il a conduit 84 marques de voitures en 506 courses pour 212 victoires dont 16 Grand Prix. Mais aucun titre mondial. Quatre fois vice-champion, le Britannique Sir Stirling Moss, dernière mémoire vivante de la F1, est mort à Londres le 12 avril à l’âge de 90 ans.
Depuis la disparition de Jack Brabham, le 19 mai 2014, il était le doyen des pilotes vainqueurs d’un Grand Prix de F1. Avec lui disparaît le témoin d’un temps hallucinant où les pilotes sautaient en bras de chemise dans des bolides dont les volants en cuir étaient cousus à la main, avant de risquer leur vie à chaque virage. En course, Stirling Moss se distinguait par son économie de mouvements, son flegme, son élégance. Elégance envers les jeunes filles, les techniciens, les copains… Au point de laisser le passage à un rival, une fois. « J’ai eu une vie fabuleuse, inespérée. » La phrase jalonne ses entretiens au Times depuis le premier, en 1963.
Né le 17 septembre 1929 dans le quartier de West Kensington, dans le centre de Londres, le jeune Stirling n’a pas 10 ans lorsqu’on lui diagnostique une insuffisance rénale qui l’exemptera de service militaire. A l’école d’Haileybury, ce fils d’un dentiste juif est moqué. Il en conservera ce sourire modeste, qui séduira tant de femmes.
Lorsque son père lui passe le volant de son Austin Seven, dans le jardin familial, l’enfant s’émerveille. Cavalier, l’adolescent abandonne le cheval monté pour le cheval-vapeur… au grand dam de son père. Pilote amateur, notamment lors des 500 Miles d’Indianapolis de 1925, ce dernier connaît trop ce sport, le plus dangereux de son époque. Il financera néanmoins la carrière de son fils. « A l’époque, dans les années 1950, on perdait en moyenne trois ou quatre pilotes par saison », rappelait Stirling Moss dans le quotidien britannique The Independent le 3 août 2001.
« C’était ton heure, un point c’est tout »
Le risque attire le jeune homme de 18 ans. « Faire quelque chose de dangereux est passionnant. » Il remporte sa première course, une course de côte, en 1948, avant une première victoire en monoplace remarquée, en Formule 3, en lever de rideau du Grand Prix de Grande-Bretagne de 1949. A 20 ans, sa réputation est déjà faite. Il y ajoute en 1950 le panache à Dundrod (Irlande du Nord) lors du très couru Tourist Trophy. Un ami de la famille lui fournit une Jaguar. Le temps est pourri, il pleut, il gagne. Alors qu’on lui passe le collier de fleurs du vainqueur autour du cou – tradition oubliée –, il allume une cigarette face à la caméra, le regard heureux, presque naïf.
La F1 est alors dominée par les Italiens. Stirling Moss fait le voyage pour rencontrer Enzo Ferrari. Mais les deux hommes sont patriotes. « Il Commendatore » mettra un Italien dans le baquet de sa voiture quand le pilote anglais rêve de gagner au volant d’une voiture britannique – au risque de ne pas gagner.
Jusqu’en 1955. Après que Stirling Moss s’est fait remarquer au volant d’une Maserati F1, Mercedes l’a embauché comme coéquipier du grand Juan Manuel Fangio. Il n’en prend pas ombrage, au contraire. Aucun pilote britannique n’a encore gagné à domicile lorsqu’il aborde le Grand Prix d’Aintree. Son rival est son coéquipier, naturellement, qu’il coiffe de justesse au drapeau à damier. Stirling Moss n’en revient pas et doute : le quintuple champion du monde argentin l’aurait laissé gagner. Il s’en serait ouvert à quelques mécaniciens. « C’était ton heure, un point c’est tout », lui répondra invariablement Fangio.
La victoire dont il restera le plus fier est autre. Il la conquiert la même année, en Italie, aux Mille Miglia. La plus célèbre épreuve automobile du moment, impensable aujourd’hui, relie sur routes ouvertes Brescia, Padoue, San Marin, Rome, Sienne, Florence, Crémone, soit 1 597 km. Avec son copilote Denis Jenkinson, au volant de la Mercedes 300 SLR crème à intérieur rouge (numéro 722 comme l’heure de départ, 7 h 22), Stirling Moss parcourt la distance en dix heures, à la vitesse moyenne de 157,65 km/h, un record absolu pour l’éternité.
Geste chevaleresque
Autre émotion un mois plus tard, les 11 et 12 juin 1955, lors des 24 Heures du Mans. A nouveau associé à Juan Manuel Fangio pour Mercedes, le duo est en tête lorsque le Français Pierre Levegh perd le contrôle de son prototype et fonce sur les tribunes, tuant 84 spectateurs. Alfred Neubauer, directeur de course Mercedes, décide alors de se retirer de l’épreuve, puis de toute la compétition automobile.
Stirling Moss s’enrôle chez Vanwall la saison suivante, écurie dont le plus gros atout est d’être britannique. Alors qu’en tribune, les spectateurs feuillettent la presse où Stirling Moss pose pour une publicité de la Nénette, carré de tissus indispensable au lustrage des autos, sur le circuit, il tente de maîtriser sa Vanwall. Le jour du Grand Prix d’Angleterre 1957, la monoplace dérape à l’envi, comme souvent. Pourtant Stirling Moss y croit – un Britannique au volant d’une Britannique – et l’emporte.
Sur les images filmées, il est heureux comme un enfant. Même sourire le 7 octobre 1957, lorsqu’il se marie avec Katie Molson, l’héritière des brasseries canadiennes. L’ami Fangio lui offre une montre en or gravée : « Au futur champion du monde ». Cela fait trois saisons, de 1955 à 1957, que Moss finit deuxième derrière lui.
Il est encore en position de dauphin, derrière Mike Hawthorn cette fois en 1958, à l’abord du Grand Prix du Portugal. Quand ce dernier est disqualifié pour avoir roulé en sens inverse après un tête-à-queue ; Moss trouve cela injuste et obtient des commissaires qu’il soit reclassé. Un geste chevaleresque qui lui coûte le titre de premier pilote anglais couronné. Il restera un éternel dauphin.
Métaphores sexuelles
La planète des sports mécaniques n’en est que plus séduite. Promu pilote le mieux payé du monde en 1961, selon The Independent, il emménage dans le quartier chic de Mayfair, à Londres, dans la maison qu’il ne quittera plus. L’intérieur est à son image, truffé de photos, de trophées, de gadgets aussi.
Fantasque ? Le pilote va prouver, à Monaco, que son salaire n’a rien d’usurpé. Pour beaucoup d’observateurs, ce Grand Prix 1961 est le plus beau de tous les temps. Au volant d’une Lotus, Stirling Moss veut briller, comme il l’explique au Times : « Il y avait 100 tours [contre 78 aujourd’hui], j’ai pris la tête au 86e », résistant aux puissantes Ferrari. Le vieil Enzo, après lui avoir expliqué que ses voitures cabrées n’étaient pas pour lui, lui en offre néanmoins une pour la saison. « Il Commendatore » avait raison : Stirling Moss n’est pas à l’aise.
D’ailleurs, plus tard, quand on lui demandera quelle voiture il préférait conduire, il ne citera pas Ferrari : « A Nürburgring [circuit automobile allemand], la Maserati 250F était la meilleure. La Mercedes plus fiable, mais pas facile. L’Aston Martin DBR1 était terrifiante mais la boîte de vitesses était à jeter. La Porsche était fantastique mais elle ne pouvait pas briller sur un circuit sans intérêt comme Le Mans. Et la Lotus était meilleure que la Cooper, mais les roues pouvaient se détacher. » Avant de conclure : « De même que vous aimeriez autant avoir une fille différente chaque soir dans votre lit, tout dépendait de la course. »
Les métaphores sexuelles émaillent les entretiens de Stirling Moss. Et lorsqu’on lui demandait s’il avait eu peur une fois dans sa vie, il répondait : « J’ai perdu une roue à 140 milles/h [225 km/h], c’était comme être au lit avec une fille et regarder une vidéo. »
Drame national
Il n’a pas le temps d’avoir peur le 24 avril 1962, à Goodwood, lors du Grand Prix. Essayant de rattraper Graham Hill, il percute un talus à plus de 180 km/h. Après trente-deux jours dans le coma, il reste partiellement paralysé six mois, perd ses dents. Son accident est vécu comme un drame national. Stirling Moss reste persuadé que 1962 devait être l’année de son sacre. Beaucoup pensent que cet accident lui a sauvé la vie… en le mettant hors course.
Il abandonne la compétition en 1963 et doit se réinventer. Ne sachant rien faire d’autre que piloter, il va vendre son nom. « J’étais une prostituée internationale », confie-t-il au Times en 2001. Un garage, une boutique liée de près ou de loin à l’automobile. « Je vendais mon temps pour de l’argent. » D’un centre de laverie automatique à un fournisseur de micro-ondes, il possédait encore une dizaine de titres de propriété en location au début des années 2000.
Lorsqu’il apprend qu’il va être fait chevalier du Royaume, il se sent alors enfin « accepté ». Anobli par la reine Elizabeth en 2000, il devient Sir Stirling Craufurd Moss, du nom de sa mère – Craufurd –, lointaine descendante du chevalier écossais d’Edouard Ier William Wallace, héros de la guerre d’indépendance contre les Anglais, popularisé par le film Braveheart, de Mel Gibson (1995).
Stirling Moss semble protégé par son étoile. En janvier 2001, c’est par l’acharnement d’un interne qui refait sa biopsie qu’un cancer agressif de la prostate est détecté juste à temps et opéré. Toujours flegmatique, il commente : « Certes je ne courrai plus comme avant. »
Machiste
Coureur, dans tous les sens du terme. Si on lui demandait combien de femmes avaient succombé à son charme, il répondait : « Des centaines. » Il était machiste, persuadé que « les femmes n’ont pas le mental suffisant » pour participer à une course. C’était oublier sa sœur, Pat Moss-Carlsson, cinq fois championne d’Europe de rallye, morte d’un cancer en 2008, à l’âge de 73 ans.
De sa vie privée, il parlait très peu. Après son bref premier mariage, il épouse Elaine Barberino en 1964 et a une fille Allison. De sa troisième union, avec Susie, en 1980, naît Elliot. Susie l’accompagnera jusqu’à la fin de ses jours. L’homme est à tel point une légende vivante qu’en 2009, il donne son nom à une Mercedes SLR, petit speedster commercialisé 1,1 million de dollars – un exemplaire de la « Sterling Moss » s’est revendu 3,8 millions de dollars en novembre 2016.
En février 2010, à 80 ans, Stirling Moss a encore failli mourir, après une chute de trois étages dans la cage d’ascenseur de sa maison de Mayfair. Bilan : quatre vertèbres fêlées, deux chevilles cassées, le pied brisé. « Je ne me sens pas bien, mais je me sens mieux », déclare-t-il dans un communiqué sur son site Internet – l’homme n’a pas raté la révolution numérique.
C’est par ce biais que Stirling Moss annonce, le 10 juin 2011, qu’il arrête la course automobile. « Cet après-midi [lors des qualifications pour la Course des légendes au Mans], je me suis fait peur. J’ai toujours dit que si je ne me sentais plus à la hauteur, je me retirerais. » Il portait toujours la montre que lui avait donnée Juan Manuel Fangio à son mariage. Même si la prédiction ne s’est pas réalisée. L’homme en avait pris son parti : « Je préfère avoir été quatre fois vice-champion, plutôt qu’une seule fois champion et ensuite être oublié. »
La dernière alerte médicale datait du 14 janvier 2017, lorsque Stirling Moss avait dû être hospitalisé à Singapour pour une infection respiratoire. Plusieurs articles de presse s’en étaient fait l’écho. « Aucune course que j’ai courue n’a figuré en page Sports, remarquait-il en 1999 dans The Independent. A l’inverse du polo ou du yachting, les courses automobiles, c’était toujours en “une” s’il y avait un mort, sinon plus loin. »
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