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Automobile : "Aucun mouvement massif de relocalisations ne se dessine chez Renault et PSA" - Marianne

Marianne : Emmanuel Macron a annoncé le 26 mai un plan pour lutter contre les délocalisations, où la filière automobile s'engagerait à maintenir "la totalité de la production industrielle" sur le territoire national, et relocaliserait la production de véhicules électriques. Est-ce crédible selon vous ?

Bernard Jullien : Il y a effectivement des tentatives de pression du gouvernement sur les constructeurs Renault et PSA pour qu’ils fabriquent leurs voitures électriques en France. Mais ce n’est pas gagné : en termes de relocalisations, il n’y a pas de mouvement massif qui se dessine. En effet, les constructeurs n’ont pas promis à l’Etat que toute leur production électrique serait à l'avenir française.

Pour PSA, cela découle d’une vision stratégique : ses sites de productions sont multi-énergies, c’est-à-dire qu’ils produisent un même modèle du thermique à l’électrique en passant par l’hybride. Il n’y a donc pas de raisons pour PSA de relocaliser en France la fabrication de la 208 électrique en Slovaquie, puisque les 208 sont produites là-bas. Certes, lors de son discours, le chef de l’Etat a annoncé que PSA s’engageait à produire la 3008 électrique à Sochaux. Mais c’était évident puisque les 3008 sont déjà fabriquées dans le Doubs.

Pour Renault, ce sont davantage les difficultés économiques qui empêchent les engagements clairs…

Oui, à l’inverse de PSA, Renault fonctionne sur un modèle de plateformes avec des sites qui rassemblent la production des véhicules électriques, parmi lesquels Flins et le Douai. Le marque au Losange a certes pris des engagements pour le site du Douai, mais rien ne dit que le successeur de la Zoé électrique, son modèle propre phare, sera fabriqué là-bas. Quant à Flins, les dernières annonces de la direction de Renault laissent entendre que le site va malheureusement devenir une coquille vide. Par ailleurs, vu les difficultés économiques actuelles, Renault ne va certainement pas rapatrier sa Twingo électrique produite en Slovénie, ni la Dacia électrique.

L’Etat se plie pourtant en quatre pour aider la filière automobile, avec 8 milliards d’euros débloqués...

D’abord, il faut préciser que les 8 milliards d’euros annoncés comprennent le prêt garanti par l’Etat (PGE) de 5 milliards accordé à Renault, qui n’est "qu’une" garantie publique. Schématiquement, l’Etat s’engage en réalité à injecter 3 milliards d'euros dans la filière dont 1 milliard pour soutenir le commerce de voitures, 1 milliard pour que l’offre puisse se structurer, et 1 milliard pour l’innovation et la R&D. Problème, les contreparties à ces soutiens financiers sont insatisfaisantes. La seule importante, à mon sens, concerne l’engagement de Renault à rejoindre le programme européen de batterie électrique, appelé "Airbus des batteries", dont font déjà partie PSA et Total.

Le risque est qu'une fois que l'activité sera repartie, les constructeurs renvoient l’Etat dans les cordes quand celui-ci demandera des comptes. Tout dépendra en fait de la capacité du politique à maintenir dans la durée la pression sur Renault et PSA.

Quel but doit poursuivre l'Etat ?

Mettre fin à vingt ans de délocalisations. Pour ce faire, la doctrine stratégique de nos constructeurs, qui consiste à produire les "petites voitures" électriques et thermiques loin de chez nous, devra évoluer. Soyons clairs : tant que Renault et PSA ne reviendront pas sur cette doctrine, il n’y aura pas d’équilibre commercial pour la filière automobile française.

Au reste, nous ne pourrons connaître les effets de la politique menée actuellement que dans deux ou trois années, c'est-à-dire quand se feront les choix des sites de production pour les nouveaux modèles. Il s’agira notamment de constater si PSA a fait évoluer sa stratégie de production basée sur des sites multi-énergies, ou si le successeur de la Zoé de Renault sera fabriqué en France. Pour l’instant il n’y a rien de consistant allant dans ce sens.

Y’a-t-il un risque d’hécatombe sur le terrain de l’emploi dans l’automobile ?

L’hécatombe, cela fait vingt ans qu’elle se produit avec toutes les délocalisations. Si l'électrification des véhicules peut mettre fin à cette tendance, ce serait déjà une bonne nouvelle. Il faut bien comprendre : agir pour que le nombre de voitures fabriquées en France ne soit plus en décroissance serait une victoire.

Mais la fabrication d'une voiture électrique ne nécessite-t-elle pas moins de main d'oeuvre qu'une voiture thermique ?

Toutes choses égales par ailleurs, la fabrication d'un véhicule électrique nécessite effectivement moins de main d’œuvre qu’un véhicule thermique. Par exemple, les voitures électriques n’embarquent traditionnellement pas de boites de vitesse, ni de système de dépollution. Avec l'électrification du parc automobile, il y aura donc un déclin plus marqué de l’emploi chez les équipementiers qui sont en bout de chaîne, et qui sont souvent des entreprises de taille modeste.

Mais cette tendance était déjà là avec la "dédieselisation" des véhicules. Par exemple à la fonderie de Caudan du groupe Renault, qui produit des pièces de châssis, de moteurs et de boîtes de vitesses, l’activité était déjà sinistrée depuis plusieurs années, car la fabrication d'une voiture essence demande environ 40% de moins de fonte que pour les vieux diesel. Certes pour une électrique, c'est 90% de moins.

Il faut donc reformer et réorienter massivement les effectifs pour éviter la casse sociale...

Oui, certains avancent que le trou d’air actuel de l'activité est une bonne opportunité pour accélérer les reconversions des salariés et réorienter les outils industriels. Mais pour ce faire, il faut mettre des moyens publics et privés conséquents, et une mobilisation forte de l'Etat et de la filière. Ce ne sera pas une mince affaire. Et affirmer qu'il sera possible de faire évoluer sans casse sociale des emplois dans la métallurgie et la fonderie vers la fabrication de bornes de recharge électrique sur des sites différents, parfois à l'autre bout de la France, paraît illusoire.

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