Nous nous déplaçons de plus en plus vite, de plus en plus loin, et principalement en voiture. Juste avant Noël, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et le ministère de la Transition écologique ont publié l’enquête « mobilité des personnes », réalisée en 2019. Très précises, récoltées seulement tous les dix ans environ, ces données sont recueillies grâce à des entretiens individuels et en face-à-face. Elles permettent de savoir combien de temps les personnes passent à se déplacer chaque jour, combien de kilomètres sont effectués, dans quel but, et avec quel moyen de transport. Les données peuvent être comparées avec la dernière enquête similaire, datant 2008.
Cette publication est donc « une très bonne nouvelle, puisque les chiffres de 2008 étaient parfois les seuls disponibles pour étudier certains aspects de la mobilité des Français, leur ancienneté devenant un problème », relève Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité durable et auteur d’une analyse de ces données sur son blog.
Bien que le Covid-19 soit passé par là, les données restent pour l’essentiel valables, car « les pratiques de mobilité sont très lentes à évoluer », indique à Reporterre Frédéric Héran, économiste des transports, urbaniste et maître de conférences à l’université de Lille.
On va plus vite, mais cela ne fait pas gagner de temps
On y apprend d’abord que les Français passent en moyenne huit heures par semaine à se déplacer. C’est 41 minutes plus de plus qu’il y a dix ans. « Cela peut s’expliquer par le fait que le confort des transports s’est amélioré », suppose le chercheur. « On utilise de mieux en mieux notre temps de transport, par exemple pour travailler dans le train, écouter de la musique. » Mathieu Chassignet est plus circonspect : « Il se peut que ce soit conjoncturel. On a constaté une grande stabilité des temps de déplacement ces cinquante dernières années, soit environ une heure par jour. Surtout, on fait à peu près trois fois plus de kilomètres qu’en 1960. Le territoire a été déstructuré par la voiture, on doit aller plus loin qu’avant pour travailler, faire ses courses, etc. » Première leçon, donc : on va plus vite, mais cela ne fait pas gagner de temps.
- Le nombre de kilomètres parcourus en voiture continue d’augmenter. © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre
La voiture reste le mode de transport majoritaire. Elle a représenté 62,8 % des déplacements en 2019. Suivent la marche à pied qui représente 23,7 % des déplacements, puis les transports en commun (9,1 %) et le vélo (2,7 %). L’analyse de Mathieu Chassignet montre que l’automobile gagne du terrain. Si l’on regarde le nombre de kilomètres effectués en voiture, ils ont augmenté de 9 %, soit « plus vite que la population, qui n’a augmenté que de 4,5 % entre 2008 et 2019. On reste dans le règne du tout-voiture », regrette-t-il.
La voiture reste un mode de transport de riches
Son analyse des données du ministère montre par ailleurs que la voiture reste un mode de transport… de riches. Les 10 % des ménages les plus aisés possèdent en moyenne deux fois plus de voitures que les 10 % les plus pauvres, a-t-il constaté. En gros, « plus on est riche et plus on possède de voitures », « plus on se déplace loin », « plus on réalise une proportion importante de ses trajets avec », et plus elle est récente. Tout simplement, il faut avoir les moyens d’y mettre du carburant, de l’entretenir, etc. Des observations bien connues des spécialistes des transports, mais qui vont à l’encontre de l’idée selon laquelle les plus pauvres seraient les plus dépendants de la voiture. « Pour fonder son mode de vie sur une utilisation intensive de la voiture, il faut en avoir les moyens », résume Mathieu Chassignet.
Pourtant, les pauvres restent les plus touchés par les politiques mises en place par les grandes agglomérations, qui créent des ZFE — zones à faibles émissions — d’où les plus vieilles voitures sont exclues. « Bien qu’utilisant moins fréquemment leur voiture et pour des trajets nettement moins longs, les ménages les moins riches risquent donc d’être également les plus pénalisés par les futures ZFE », regrette l’ingénieur.
- Un bus, des voitures et un camion embouteillés le long d’un arrêt de tramway, en Seine-Saint-Denis. © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre
Deuxième leçon, donc, pour lutter contre notre addiction à l’auto, il faut « des taxes qui ponctionnent les riches », recommande Frédéric Héran. Pour cela, il faut viser avant tout les gros véhicules. Il propose notamment le retour de la vignette. Cet impôt a été supprimé en 2000 pour les particuliers et 2006 pour les sociétés. Il taxait chaque année les voitures en fonction de leur puissance. Autre solution, taxer les véhicules les plus lourds [1]. Les recettes « seraient utilisées pour aménager l’espace public pour la marche, le vélo, etc., notamment dans les villes moyennes qui ont peu de moyens », indique l’économiste.
Une proposition confirmée par les graphiques de l’enquête : il existe une très grande disparité selon les territoires. L’agglomération parisienne est la seule où la marche (38 % des déplacements) a dépassé la voiture (33,3 % des déplacements en 2019, en recul de 8 % sur 10 ans). Ailleurs, elle représente systématiquement plus de la moitié des déplacements, voire presque 80 % en milieu rural. « Aujourd’hui à Paris, il y a deux fois moins de voitures et douze fois plus de vélos qu’en 1992. La transition dans le centre-ville des grandes agglomérations est bien engagée. La nouvelle frontière est la proche périphérie », estime Frédéric Héran. Un mouvement de diffusion que « les politiques publiques peuvent accélérer », insiste-t-il.
La marge de progression est grande. « 41 % des trajets en voiture font moins de 5 km […], une distance aisément faisable à vélo », analyse Mathieu Chassignet. Pourtant, entre 2008 et 2019, le vélo stagne, mais ce n’est pas une fatalité. « Une nouvelle pratique sociale commence par les milieux éduqués puis se diffuse dans les classes moyennes et populaires », rappelle Frédéric Héran. « Aujourd’hui, le vélo est à peine plus utilisé par les classes sociales aisées que les autres. Les classes populaires s’y mettent, les ateliers d’autoréparation au pied des HLM ont du succès. » Permettre aux cyclistes de pédaler en sécurité est aussi indispensable. « Les hommes se déplacent 2,7 fois plus que les femmes à vélo », observe Mathieu Chassignet. Pour mettre les femmes en selle, la solution est simple : « Dans les pays ou la pratique est très développée et sûre — Pays-Bas, Danemark, Belgique flamande… —, les cyclistes femmes sont majoritaires », rappelle-t-il. Autant de données qui montrent « le potentiel de développement du vélo dans notre pays » si l’on se mettait à « aménager massivement nos territoires », espère l’ingénieur.
Car l’engouement pour le vélo observé depuis la pandémie de Covid-19 reste fragile. « La hausse de l’utilisation du vélo est très forte, reconnaît Frédéric Héran. Quelle que soit la crise — grève, hausse du prix du carburant —, on voit souvent la pratique du vélo doubler voire tripler. Mais c’est qu’il y a un grand réservoir de cyclistes occasionnels qui deviennent réguliers à cette occasion. » Il n’est cependant pas sûr que tous resteront des cyclistes réguliers une fois la crise passée.
- La rue de Rivoli, à Paris, remplie de cyclistes lors de la journée sans voiture en 2021. Unsplash / François-Xavier Chamoulaud
Enfin, cette enquête statistique aborde aussi les voyages des Français, compris comme les déplacements à plus de 80 kilomètres du domicile pour aller voir la famille, des amis, partir en vacances… Le nombre de ces déplacements longue distance augmente de 4,4 % en dix ans, note le service statistique du ministère de la Transition écologique.
En avion, les riches parcourent cinq fois plus de kilomètres que les pauvres
Et ils mènent les Français de plus en plus loin. Autant de kilomètres supplémentaires, effectués en avion. Il « concentre à lui seul la quasi-totalité de l’augmentation des distances parcourues pour les déplacements de longue distance entre 2008 et 2019 », observe Mathieu Chassignet. Notons que c’est, encore là, les riches qui effectuent le plus de kilomètres. Les 10 % les plus riches voyagent quasiment cinq fois plus de kilomètres que les 10 % les plus pauvres, selon les calculs de l’ingénieur.
Pendant ce temps, le train fait grise mine et son utilisation stagne. Mais ces chiffres ne voient pas que « juste avant le Covid, en 2018 et 2019, l’usage du train a augmenté de 10 % en deux ans », estime Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut). Le Covid est passé par là, certes, « mais la clientèle occasionnelle de la SNCF est revenue au niveau d’avant-crise », assure-t-il. « L’abonnement télétravail de la SNCF a notamment eu beaucoup de succès. »
Alors, va-t-on vers des transports plus écolos ? Il faudra encore quelque temps aux spécialistes pour tirer toutes les conclusions de ces données foisonnantes. Reste que la bonne voie est déjà connue : « Il faut de la sobriété, s’attaquer au sujet de l’augmentation des distances parcourues, insiste Mathieu Chassignet. Car cela nous emmène dans un mur. Si demain on est obligés de faire 10 kilomètres à chaque fois que l’on se déplace, on ne pourra plus développer les alternatives. »
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