Cadeau! Depuis le 1er avril, le gouvernement octroie une ristourne de 18 centimes par litre d'essence. De quoi alléger une facture qui s'emballait, avec un litre de gazole frisant -ou dépassant- 2,40 euros le litre fin mars. Du jamais-vu. Une généreuse remise en pleine campagne présidentielle pour calmer la colère populaire qui n'en représente pas moins une faible aumône face au bouquet de taxes frappant l'automobiliste -celles sur les carburants figurent, de très loin, le premier poste des impôts automobiles.
Certes, le montant total des taxes sur le gazole et l'essence sans plomb récolté par l'Etat a baissé en 2020 (- 18%) et en 2021. Mais c'est uniquement parce que les Français, confinés pendant des mois, ont moins roulé. Le transport automobile n'en a pas moins généré 35,2 milliards de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et de TVA en 2020, selon les chiffres publiés par la Plateforme automobile (hPFA).
Impôt inégalitaire
En mars dernier, sur un litre de gazole, le coût du pétrole pesait en effet 38% de son prix de vente, celui de la distribution 10%, la marge brute de raffinage 4%. Le reste, ce sont les taxes, représentant 48% du prix payé par l'automobiliste. Un impôt d'autant plus impopulaire qu'il est forcément inégalitaire. La TICPE "touche surtout les gros rouleurs qui sont surtout des ruraux, des périurbains avec des véhicules plus vieux et consommant plus, appartenant aux gens les moins aisés" , constate ainsi Jean-Philippe Hermine, directeur des mobilités à l'Institut du développement durable et des relations internationales, lié à Sciences-Po.
Un tiers du budget
Mais les carburants ne sont pas l'unique source de taxes. En 2020, l'Etat avait aussi prélevé 5,4 milliards d'euros sur l'assurance automobile; 2,1 milliards sur les cartes grises; 1,1 milliard de taxes spécifiques au titre de la Sécurité sociale sur ladite assurance, 800 millions sur les voitures de société, détaille la PFA. Une taxe d'aménagement du territoire frappe les garages pour près d'un demi-milliard. Et, bien sûr, il y a la TVA sur les achats de voitures neuves, pour 8,5 milliards. La TVA sur l'entretien, la réparation, le contrôle technique, les permis de conduire, atteint, elle, 9,1 milliards.
En tout, en 2020, l'Etat a donc prélevé 63 milliards sur l'automobile… Y compris 1,52 milliard d'amendes forfaitaires. La fin de celle concernant le stationnement, remplacée par un forfait post-stationnement aux mains des communes, s'est traduite au 1er janvier 2018 par un alourdissement des montants. Paris a décidé de tripler le sien, à 50 euros en zone centrale. Les taxes sur l'automobile représentaient au total 57,3 milliards en 2010, contre 49 milliards en 2000. L'automobile pèse "jusqu'à un tiers du budget des ménages" , reconnaît Jean-Philippe Hermine. Dans son dernier rapport comparatif sur les taxes en Europe fin avril 2021, l'Association des constructeurs européens pointait d'ailleurs la France comme la championne de l'impôt… par véhicule.
La voiture serait-elle une vache à lait pour l'Etat? Pas si sûr malgré les apparences. Si les taxes rapportent considérablement, l'Etat dépense aussi beaucoup pour le transport par route. Les administrations nationales et locales "déboursent 7,8 milliards par an en investissements routiers et 5,8 milliards dans l'entretien du réseau existant" , relève Stéphane Levesque, directeur de l'Union routière de France. Des dépenses stables ces dernières années, mais "en forte baisse, de 5 milliards par rapport à 2012" . Ce qui explique par ailleurs la dégradation préoccupante des chaussées tricolores. En 2012, le réseau français figurait au premier rang (sur 144 pays) du classement mondial de la qualité des routes, établi par le World Economic Forum. En 2019, il dégringolait à la 18e place.
Bonus-malus déficitaire
Ces débours facilement comptabilisés, mais de moins en moins efficaces, ne sont qu'un des postes de dépenses induites par l'automobile. Les autres coûts pour la collectivité, très polémiques, sont autrement plus difficiles à chiffrer: accidentologie, pollution, contribution à l'effet de serre… "Le coût humain de la morbidité routière, compte tenu des estimations nationales du nombre de blessés de la route, s'établit entre 14,8 et… 29 milliards d'euros" , affirme une étude de l'Institut français des sciences et technologies des transports. Du simple au double. A relativiser d'ailleurs, puisque les assurances s'en chargent en partie. Le coût environnemental est encore plus compliqué à évaluer. Les frais de santé liés à la seule pollution automobile "dépassent les 60 milliards d'euros par an en Europe", estime le rapport de l'ONG Alliance européenne pour la santé publique, publié en novembre 2018 et fortement contesté car fondé sur des données provenant de véhicules anciens, notamment diesel.
L'Etat finance en tout cas une bonne partie de la fameuse transition énergétique. Il a déboursé plus d'1 milliard en primes à la casse et en bonus écologiques depuis 2020 pour stimuler l'achat de véhicules plus modernes et donc en principe plus propres et moins émetteurs de CO2. Les bonus atteignent 3.900 euros en moyenne, pour l'acquisition d'un modèle électrifié. Mais "ils s'adressent aux populations les plus riches qui peuvent s'offrir ce genre de véhicules et profitent de l'effet d'aubaine", lâche Jean-Philippe Hermine. Le bonus-malus est d'ailleurs resté déficitaire en 2021, avec un solde négatif de 465 millions d'euros pour l'Etat. Car, au fur et à mesure que les malus s'accroissent, les Français délaissent les voitures les plus grosses.
Et l'Etat n'est pas seulement engagé dans la vente de véhicules réputés plus verts. Il a annoncé 500 millions d'investissement pour les infrastructures de recharge électrique, 400 millions pour la reconversion de la sous-traitance automobile - en complément d'une somme identique en 2020 -, 300 millions d'aides aux entreprises en R & D sur les véhicules du futur. L'Etat est aussi très impliqué dans l'implantation d'usines de batteries en France, d'électronique de puissance et d'hydrogène. Coentreprise de Total et Stellantis, rejointe récemment par Mercedes, ACC a ainsi obtenu des aides européennes massives, essentiellement françaises, "un peu inférieures à 1,3 milliard d'euros" , précise Yann Vincent, son directeur général. Le premier site, à Douvrin (Nord), doit ouvrir en 2023.
Acteur socio-économique
Difficile, donc, de faire un bilan comptable des dépenses et recettes de l'automobile pour l'Etat. Mais, au-delà d'une bataille de chiffres, la route joue un rôle majeur dans le tissu social et territorial français.
C'est une sorte de service public, avec "une capillarité qui, seule, permet d'accéder aux quelque 36.000 communes de France" , souligne Mathieu Flonneau, professeur et chercheur à l'université Panthéon-Sorbonne. Et ce d'autant que les trajets entre les zones d'habitat et de travail autour des villes sont de plus en plus aléatoires, au fur et à mesure que le coût du mètre carré dans les centres urbains explose.
"70% des Français dépendent aujourd'hui de l'automobile pour leur travail" , indique l'enseignant. La route assure "85% des déplacements de personnes et de marchandises", renchérit Stéphane Levesque. Enfin, quel que soit son coût, l'automobile a pour elle un argument socio-économique majeur: elle emploie 2,2 millions de personnes sur le territoire, autant de contribuables directs et indirects. Soit 8% de la population active.
Les carburants ne sont pas l'unique source de taxes. En tout, en 2020, l'Etat a prélevé 63 milliards d'euros sur l'automobile.
(SOURCES: PFA, URF.)
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