
L'électronique se glisse partout dans les automobiles modernes, dont les logiciels peuvent déjà, entre des mains expertes, se montrer bavards. Mais ce sera encore plus facile avec la boîte noire, dont le principe, voté en 2019 par le Parlement européen dans le cadre de dispositions destinées à améliorer la sécurité routière, arrive à échéance. La mesure, applicable aux voitures neuves circulant en Europe, est entrée en vigueur le 1er mai 2022.
Toutes les voitures neuves sont désormais équipées de ce dispositif enregistrant un certain nombre de données de roulage. Dans un premier temps seront enregistrées celles précédant de 30 secondes un accident ou un accrochage. Seront ainsi mémorisés dans la phase précédant l'accident la vitesse, l'accélération ou le freinage, le port de la ceinture de sécurité ou encore les coordonnées GPS, la force de la collision et le régime moteur.
Sur le modèle des boîtes noires des avions qui, en théorie, permettent d'élucider les circonstances des catastrophes aériennes, leurs homologues automobiles, nettement plus simples – au moins dans un premier temps –, pourraient concourir à faire la lumière sur les circonstances réelles d'un accident. Et sans doute à remettre à sa juste place l'excès de vitesse, trop facilement brandi jusqu'à présent comme l'explication à tout accident.
Pour Me Vincent Julé-Parade, avocat spécialiste en droit du dommage corporel et dans la défense des victimes de la route, un tel dispositif permettra de responsabiliser les conducteurs, conscients qu'un Big Brother guette leurs faits et gestes, mais aussi d'accélérer l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation.
Pour lui, « l'équipement systématique des véhicules particuliers d'une boîte noire est une mesure qui aidera à mieux tracer les comportements à risque et les fautes de conduite à l'origine d'un accident. Sans doute, la présence des boîtes noires permettra-t-elle d'éviter d'interminables débats autour des circonstances précises d'un accident, parfois à l'origine d'une paralysie du processus indemnitaire de la victime ».
L'exemple des contentieux aériens
Une vision idéalisée du contentieux, car le transport aérien a démontré que, malgré la sophistication des enregistrements de données de vol, leur interprétation divergente par les experts expose le plus souvent à d'interminables batailles juridiques et techniques. Le crash du Rio de Janeiro-Paris survenu il y a 13 ans n'a toujours pas connu son épilogue et la compagnie comme le constructeur de l'avion, assignés en procès par les familles des passagers, ne comparaîtront qu'à partir du 10 octobre et jusqu'en décembre de cette année.
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Il faut donc se garder de dire que l'électronique et les capteurs pourront dire la vérité rapidement dans tous les sinistres. Un argument soulevé également par les associations d'usagers qui craignent, à juste titre, un détournement de la mission de la boîte noire au fil du temps. Qui peut ainsi dire que les données seront seulement analysées en cas d'accident ? Une réquisition de police au titre, par exemple, d'une enquête en cours pourrait, en effet, donner accès aux enquêteurs aux données enregistrées.
Et cela peut commencer par une interception à défaut de radar, les enregistrements de bord permettant de cerner la vitesse pratiquée juste avant par le conducteur. Encore faudra-t-il préciser si ces données s'auto-effacent au fur et à mesure ou si une mémoire tampon – voire un enregistrement sur les réseaux par les GSM et GPS conjugués – pourra être consultée longtemps après les faits sur les serveurs.
Il y a donc du grain à moudre pour la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) avec cette initiative européenne qui part néanmoins d'un vœu pieux. Il s'agit tout d'abord de responsabiliser les conducteurs sur leurs faits et gestes, ceux-ci se sentant en permanence traqués par leur boîte noire. Pour y échapper, il y aura certainement des brouilleurs ou des neutralisateurs proposés par les pirates du dark web, ce qui sera à la portée des petits génies de l'informatique avec une boîte noire isolée.
Cela le sera nettement moins avec la solution Renault, qui compte s'en passer et utiliser les différents éléments électroniques disséminés à bord de ses véhicules pour recueillir les informations nécessaires. Sans doute quasi inviolable, ce système ne représentera, selon le constructeur, pas de surcoût pour le client, qui devra supporter, avec la boîte noire classique, une centaine d'euros d'investissement. Cette somme sera à son tour payée par les voitures d'occasion dès 2024 lorsqu'elles changeront de main. En d'autres termes, c'est une très forte incitation à acheter ou conserver une « voiture d'avant », ce qui ne va pas aider au rajeunissement du parc automobile français.
Pain bénit pour les assureurs
Ceux qui vont probablement en tirer avantage sont les assureurs, qui tablent sur une baisse de 20 % des sinistres, et que, du coup, certains songent déjà à solliciter pour payer une partie de l'équipement. Mais ils sont déjà accoutumés à jouer la montre dans de nombreux dossiers épineux et la technologie, au lieu de clarifier les choses, risque au contraire de les complexifier en négligeant des critères de jugement majeurs. Si le conducteur utilisait un téléphone au moment des faits, s'il était sous l'empire de l'alcool, de drogues ou de stupéfiants, par exemple, ce qui n'est pas mince.
« Si, dans le cas d'une collision, ce dispositif permet de déterminer si l'automobiliste roulait trop vite, a mis ses clignotants ou ne portait pas sa ceinture, il n'est, en revanche, pas en mesure de connaître les causes extérieures d'un accident, qu'il soit lié à la localisation, à la météo ou au comportement à risque d'un tiers : une priorité coupée, un stop non respecté, une vitesse excessive... Filmer la route permettrait, dans ce cas, de recontextualiser pour déterminer les circonstances exactes d'un accident grâce à un témoin objectif, dit Pascal Chevalier, responsable commercial Europe de Nextbase, leader du marché des caméras embarquées.
Et sans doute faudra-t-il, pour justifier de sa bonne foi face à la boîte noire, produire les images d'une telle caméra témoignant visuellement des circonstances de l'accident. Érigée en solution miracle, la boîte noire va hérisser la sensibilité de certains, s'estimant déjà traqués à l'excès dans tous leurs faits et gestes. Le libre arbitre n'est pas bien vu en matière de sécurité routière et c'est l'État qui décide depuis longtemps de ce qui est bon pour nous. Plus que jamais, la seule façon d'y échapper sera de rouler dans une voiture ancienne, certes pleine de sensations, mais moins sûre et plus polluante.
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