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Christophe Périllat (Valeo) : "L'industrie automobile est face à un chantier incroyable" - L'Express

Nommé en janvier à la tête de Valeo, après avoir grimpé tous les échelons du deuxième équipementier français ces 20 dernières années, Christophe Périllat doit faire face à des défis de taille. Quelques semaines seulement après sa prise de fonction, la Russie déclenchait la guerre en Ukraine, faisant exploser les prix des matières premières industrielles et obligeant rapidement Valeo à fermer son usine russe, basée à Togliatti, à 800 kilomètres au sud-est de Moscou. Un moindre mal, comparé à d'autres groupes tricolores, puisque cette dernière ne pesait que 0,5% du chiffre d'affaires du groupe.  

Devant lui, une pénurie de semi-conducteurs qui devrait perdurer au moins jusqu'en 2023 et oblige les constructeurs, ses clients, à multiplier les arrêts de production et surtout les gigantesques défis de l'électrification et de l'autonomisation des voitures. Des virages serrés qui - s'ils sont bien négociés - pourraient néanmoins permettre à l'équipementier, chahuté en bourse ces dernières années, de retrouver les sommets.  

L'Express : Flambée des prix de l'énergie, inflation des matières premières industrielles, pénurie de semi-conducteurs... Peut-on parler de rentrée de tous les dangers pour Valeo et plus largement pour l'industrie automobile ? 

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Christophe Périllat : Pour ce qui est des coûts de l'énergie, nous sommes une société peu énergivore et nous n'avons par ailleurs de cesse depuis 30 ans de réduire notre consommation énergétique. Aujourd'hui, notre préoccupation première est l'inflation des matériaux. L'acier, l'aluminium, les matières plastiques... ont vu leur prix grimper de manière significative. Idem pour les composants électroniques. Or, Valeo est devenu un grand électronicien (dans nos équipes, un ingénieur sur deux est un électronicien et le groupe consomme chaque jour 250 millions de composants). Quand le prix de ces composants augmente, cela nous impacte donc directement. Nous parvenons heureusement à répercuter la quasi-totalité des hausses de coûts à nos clients. 

L'envolée du prix des composants électroniques est notamment alimentée par la pénurie de semi-conducteurs, qui selon les spécialistes devrait perdurer au moins jusqu'en 2023. Le gros de la crise est-il néanmoins derrière nous ? 

Pour nous, le pic de la crise s'est cristallisé au troisième trimestre 2021, avec les arrêts massifs de production en Malaisie, où sont installées de nombreuses usines de composants électroniques. Depuis, nous voyons mois après mois une réelle amélioration de la situation. L'étau se desserre. 

On voit d'ailleurs que le nombre d'arrêts sur les chaînes de production des constructeurs automobiles diminue. J'en profite d'ailleurs pour souligner que Valeo n'a jamais été à l'origine de perturbations chez aucun de ses clients. Cela montre la force et l'excellence de nos équipes, en particulier dans la logistique et les achats. 

Vous êtes-vous posé la question du rachat d'un fabricant de semi-conducteurs afin de sécuriser votre approvisionnement ? 

Ce n'est pas notre métier. Et un métier, vous ne le faites bien que lorsque vous êtes dans le tiercé de tête du marché. Vous avez alors les volumes suffisants pour être réellement à la fois innovant et compétitif. C'est d'ailleurs le cas de Valeo dans chacun de ses quatre métiers (pôle système de confort et de détection, pôle système de propulsion, pôle système thermique et pôle système de visibilité, NDLR), où nous sommes soit leader, soit coleader. 

L'effondrement de l'euro face au dollar (à son plus bas niveau depuis décembre 2002) handicape-t-il Valeo ? 

Non, car nous achetons des composants en dollars, mais dans le même temps nous vendons aussi des équipements en dollars. En effet, Valeo possède une très forte implantation aux Etats-Unis. Cet équilibre nous permet de ne pas souffrir du fort recul de l'Euro. 

Le marché est contraint par l'offre, pas par la demande

Sur les huit premiers mois de l'année, le marché automobile français a reculé de près de 14% par rapport à 2021 : comment gère-t-on une telle baisse ? 

Pour commencer, il est important de rappeler la faible exposition de Valeo au marché hexagonal. Bien sûr, notre siège est basé à Paris et la France reste un pays important pour nous car nous y employons 14 000 personnes à travers 23 usines et y faisons l'essentiel de notre recherche. Mais nous ne réalisons que 14% de notre chiffre d'affaires en France. Surtout, nous exportons 80% de notre production hexagonale vers l'international. Ce recul des ventes est néanmoins global, même s'il est moins marqué dans les autres pays. Ce qu'il est important de comprendre, c'est que le marché est contraint par l'offre, pas par la demande. Le carnet de commandes de tous les constructeurs est très bien rempli. Mais la production n'arrive pas à suivre, notamment à cause de la forte tension sur les semi-conducteurs. Encore une fois, cette situation s'améliore. 

Vous ne croyez donc pas les Cassandre, qui clament que le marché de l'automobile est condamné à s'effondrer car les gens vont progressivement délaisser la voiture au profit de l'autopartage et des transports en commun ? 

Non, pas du tout. Une des leçons que nous avons tous pu retirer de la pandémie de Covid, c'est que nous avons tous besoin de mobilité. Une mobilité qui est au coeur de l'économie, mais aussi de notre vie privée. Et l'électrification de l'industrie automobile, qui tend donc vers le zéro carbone, fait de la voiture un formidable outil à notre service. Nous croyons profondément dans l'avenir du marché automobile, mais pas uniquement. Nous pensons qu'il y a en parallèle un avenir radieux pour le vélo, la moto et les trois roues, comme les Rickshaw extrêmement populaires dans de nombreux pays, notamment en Asie. Une mobilité à laquelle Valeo s'intéresse de près. Nous avons ainsi dévoilé en décembre 2020 notre gamme de moteurs électriques dédiée et nous avons déjà signé 20 clients. Et nous avons des objectifs ambitieux : 250 millions d'euros de chiffre d'affaires dès 2025 et 500 millions en 2030. 

En Chine, nous avons appris à vivre avec le Covid

A contre-courant des autres États, la Chine poursuit sa politique zéro Covid, et confine à nouveau des dizaines de millions de Chinois, à l'image des 20 millions d'habitants de la mégalopole de Chengdu, dans le Centre-Ouest du pays. Quel est l'impact pour l'activité de Valeo sur place ? 

Les confinements successifs ont bien évidemment eu un impact sur notre production locale, qui a été réduite de 40% en avril et de 20% en mai. Pour mémoire, nous possédons 35 usines en Chine : il s'agit du pays où nous avons le plus de sites industriels. Mais, comme toutes les entreprises basées en Chine, nous avons appris à vivre avec le Covid. Dans les zones confinées, en lien avec les autorités locales, un système de "gestion en circuit fermé " a été mis en place autour de nos centres de production -avec des salariés qui dorment à proximité du site- ce qui les rend totalement étanches avec l'extérieur. La résurgence actuelle de cas de Covid en Chine ne nous pénalise donc pas. 

Cela rajoute néanmoins du gris à un tableau qui semble déjà bien sombre ? 

Je ne vais évidemment pas vous dire que nous traversons une période facile. Mais je crois que cela rend les équipes plus fortes. Il faut bien se rendre compte que lors de la toute première vague de Covid, nous avons dû fermer 150 usines à travers le monde et faire passer en l'espace d'un seul week-end 30 000 personnes en télétravail ! Qui aurait pu imaginer qu'une telle chose puisse arriver, et qu'on soit collectivement capable de la surmonter ? Les équipes de Valeo travaillent en parallèle sur 2000 projets : malgré toutes les difficultés liées à cette pandémie historique, tous ont pu être menés à bien et livrés dans les temps aux constructeurs. C'est quelque chose dont nous pouvons être fiers.  

Les équipes se sont montrées courageuses et solidaires face à la succession de chocs que nous avons eus à surmonter. Des qualités qui me rendent très optimiste alors que l'industrie automobile est amenée à vivre une véritable révolution dans les quinze prochaines années, notamment avec l'électrification et l'autonomisation des véhicules. Le secteur des transports routiers représente 18% des émissions de CO2 à travers le monde, nous avons devant nous un chantier incroyable qui permettra de changer le monde ! Et je suis d'autant plus confiant que nous abordons cette période historique en étant prêt technologiquement. 

Notre Lidar équipe les trois seuls modèles au monde ayant reçu l'agrément pour une autonomie de niveau 3

Quelles seront, justement, les technologies sur lesquelles Valeo va concentrer ses forces dans les prochaines années ? 

Nous avons redéfini en début d'année nos quatre coeurs de métiers et tous contribueront bien évidemment à notre croissance future. Néanmoins, notre "hypercroissance" future devrait d'abord être générée par l'électrification de la propulsion et tout ce qui l'accompagne, ainsi que par les systèmes d'aides à la conduite, qui vont nous amener vers une quasi-autonomie de la voiture dans les années à venir. Nous avons une vraie position de leader sur ce marché. Notre Lidar, pour Light detection and ranging, (NDLR : un système permettant de mesurer les distances et de détecter des obstacles par rayon laser), équipe aujourd'hui les trois seuls modèles au monde ayant reçu l'agrément des autorités de tutelle pour une autonomie de niveau 3, celle qui vous autorise à lire un livre ou à vérifier vos courriels pendant que la voiture "conduit" à votre place. Il s'agit de la Honda Legend au Japon et des Mercedes Classe S et EQS en Allemagne. Nous avons devant nous un potentiel important de croissance de notre chiffre d'affaires et de notre profitabilité. 

Les constructeurs automobiles, vos clients, investissement massivement pour refaire leur retard dans le domaine du logiciel, alors que nos voitures deviennent de vrais ordinateurs sur roues. Ne craignez-vous pas qu'ils viennent empiéter sur vos plates-bandes ? 

Le besoin est tel qu'il y aura de place pour tout le monde. Nous sommes par ailleurs aujourd'hui déjà une vraie entreprise de "tech". Chez Valeo, un ingénieur sur deux travaille sur le software, les architectures système, la cybersécurité, l'intelligence artificielle. Et nous dépensons chaque année près de 10% de notre chiffre d'affaires en recherche & développement. Nous sommes prêts. 

Les GAFA aussi s'intéressent de plus en plus aux logiciels embarqués dans les véhicules. 

Nous travaillons déjà avec ce type de sociétés et je ne pense pas qu'ils constituent une concurrence frontale. Je les vois plutôt comme des partenaires pour répondre à la révolution automobile en cours. 

Faites-vous face, comme de nombreuses entreprises, à des difficultés de recrutement ? 

La guerre des talents est bien réelle, et nous n'y échappons pas. C'est particulièrement vrai dans les métiers autour de la cybersécurité et des logiciels. Nous pouvons néanmoins attirer les meilleurs grâce à l'histoire que nous portons. Valeo est une entreprise qui rend possible la voiture électrique et bientôt autonome. Une double mission qui parle aux candidats.  

Et les ingénieurs perçoivent de plus en plus Valeo comme une entreprise de technologie, ce qui nous différencie. Nous sommes en situation de croissance - notre carnet de commandes sur les six premiers mois de l'année atteint les 16 milliards d'euros- et c'est évidemment une excellente nouvelle, mais cela nous oblige aussi à recruter toujours plus. 

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