
Il est, dans la vieille Europe, politiquement incorrect d'émettre une critique à l'égard de la voiture électrique tant le déterminisme de Bruxelles évacue les empêcheurs de penser autrement. Depuis le Dieselgate, les constructeurs sont, il est vrai, devenus inaudibles et la voiture thermique fait l'objet d'un « grand remplacement », aucun argument en sa faveur ne venant ébranler les postures des décideurs européens. Pourtant, si ici ou là des voix s'élèvent encore pour tenter de faire la part des choses, la moindre réserve sur ce mode de propulsion que l'on veut imposer à tout prix est devenue politiquement irrecevable.
Ce ne sera peut-être pas le cas de ce rapport pour le moins explosif élaboré par l'Institut syndical européen (ETUI). Cette structure agit en tant que centre de recherche indépendant pour la Confédération européenne des syndicats (CES). Celle-ci réunit l'ensemble des syndicats européens afin d'avoir une organisation capable de parler d'une seule voix avec Bruxelles. En se penchant sur le dessein louable d'atteindre la neutralité carbone en 2050 et les moyens d'y parvenir, l'ETUI a accouché d'un pavé d'une soixantaine de pages intitulé Des voitures plus lourdes, plus rapides et moins abordables, dont certains éléments confinent au réquisitoire.
Tout d'abord centrée sur les seuls gaz à effet de serre, Bruxelles avait fixé comme objectif de réduire les émissions de CO2 des transports de 40 % entre 1990 et 2019. Raté, 1990 représentant la base de départ fixée à 100 % et 2050 l'objectif final du 0 %. En réalité, au lieu de diminuer, le secteur des transports a augmenté ses émissions de CO2 de 32 % au cours de ces trente dernières années, les voitures particulières représentant 43 % des émissions totales du secteur. De quoi taxer les constructeurs d'immobilisme – même si plus de voitures circulent –, mais aussi dénoncer leur montée en gamme inéluctable avec des modèles toujours plus lourds et puissants.
L'intenable objectif du zéro émission
« Cette divergence est la principale raison pour laquelle le secteur automobile européen est aujourd'hui confronté à la transformation la plus radicale et potentiellement perturbatrice de son histoire », estime Tommaso Pardi, auteur du rapport ETUI. « L'électrification rapide et généralisée apparaît aujourd'hui comme la seule solution technologique possible pour concilier cette voie divergente avec le Green Deal européen. » Celui-ci vise une baisse pour les voitures particulières, de 55 % des émissions de CO2 pour les voitures neuves d'ici 2030 (toujours par rapport à 1990), et une réduction de 100 % désormais avancée à 2035. Intenable.
« En d'autres termes, en un peu plus de dix ans, le groupe motopropulseur à combustion interne, qui est au cœur de cette industrie depuis plus d'un siècle et qui concentre environ 25 % de la valeur ajoutée et 40 % de l'emploi total de l'industrie automobile européenne, sera progressivement supprimé », relève Pardi. Pire encore, ce rapport met l'accent sur le rôle central joué par le cadre réglementaire européen sur les émissions de CO2, mais aussi sur l'homologation des véhicules et sur les politiques de concurrence et de commerce au sein du marché unique. « Celui-ci pousse l'industrie vers des voitures plus lourdes, plus puissantes et plus chères à un moment où l'impératif de réduction des émissions de CO2 aurait dû exiger des voitures plus légères, moins puissantes et plus abordables. »
Une voiture premium était ainsi en moyenne 328 kg plus lourde que son équivalent en taille issu d'un généraliste. Entre 2001 et 2015, souligne Tommaso Pardi, les automobiles très largement thermiques ont grimpé en moyenne de 10 % en poids et de 26 % en puissance moteur, deux facteurs qui, combinés, ont naturellement fait monter en flèche les émissions de CO2 de 21 %, tout cela sous la houlette de l'UE.
600 kilos de plus en dix ans
Cette dérive paradoxale est, selon ETUI, à l'origine de la tricherie du Dieselgate et explique en partie aujourd'hui le processus accéléré d'électrification. Partant de modèles existants convertis à l'électricité et non conçus dès l'origine pour elle, les voitures ont fatalement continué à s'alourdir, de l'ordre de 600 kilos en dix ans pour les électriques à la recherche d'une autonomie décente. Mais plus de poids, c'est aussi plus de consommation d'une électricité pas forcément verte, bien au contraire, et un bilan environnemental discutable. Et alors que l'on s'inquiète ouvertement de l'assèchement des ressources fossiles, il en est fort peu question lorsqu'il s'agit de cobalt, nickel ou lithium nécessaires à la fabrication des batteries.
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Le rapport souligne la distorsion entre cette montée en gamme orchestrée par les constructeurs et l'électrification accélérée voulue par Bruxelles. Il est déjà évident que beaucoup d'Européens ne pourront passer au tout-électrique en 2035, mais, bien que peu fortunés, des mesures de représailles seront prises à leur encontre au travers de taxes dissuasives. Cela si évidemment les intéressés ne manifestent pas leur opposition, ce qui ne semble pas acquis en France, où les Gilets jaunes seront les premiers concernés. Trop rapide, l'électrification à marche forcée « réduit significativement les bénéfices environnementaux attendus tout en alourdissant considérablement ses coûts économiques, sociaux et politiques », constate l'ETUI. C'est ainsi que l'on ouvre un boulevard aux productions asiatiques, qui ont déjà monopolisé les stands du dernier Mondial de l'Auto à Paris.
L'Europe pourtant ne désarme pas pour autant et s'attaquera en janvier prochain aux diesels, qui représentent 95,8 % du parc de camions. Ils assurent 80 % du transport de marchandises, mais Bruxelles ne retient que les 26 % d'émissions de gaz à effet de serre du transport routier alors qu'ils ne représentent que 2 % des véhicules en circulation. Une autre bombe à retardement est en préparation.
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