
« Nous devons disposer de toutes les options. » C'est ce qu'a déclaré à la Commission européenne Volker Wissing, le ministre allemand des Transports et membre du Parti libéral-démocrate (FDP, pour Freie Demokratische Partei), lors du vote final des 27 pays membres de l'UE sur la fin des voitures thermiques à horizon 2035 qui avait lieu mardi dernier.
À la surprise générale, les Allemands, pourtant favorables au texte initialement, ont décidé de bloquer le vote. Celui-ci a été reporté « à une réunion ultérieure ». La raison : l'ouverture du projet de loi en faveur des carburants de synthèse, même après 2035. Une demande qui pourrait s'expliquer par la mainmise de la plus grande puissance économique européenne sur le moteur thermique, mais qui est, en réalité, une décision avant tout politique.
Avec l'avènement du moteur électrique, l'Allemagne perd son leadership
De l'autre côté du Rhin, l'industrie automobile représente le 1er secteur industriel et a généré un chiffre d'affaires de 436 milliards d'euros en 2021 avec plus de 800.000 emplois associés à ce secteur. Un mastodonte qui a tissé un fort réseau de petites et moyennes entreprises autour du thermique.
En effet, ce dernier a longtemps fait la renommée de l'Allemagne par sa supériorité technologique et a permis au pays d'être largement compétitif face aux autres grandes puissances, notamment la Chine.
Mais avec la bascule vers l'électrique, les allemands se voit doubler par l'empire du Milieu et les États-Unis, la faute à une transition trop frileuse de l'ensemble du secteur entraînant un retard technologique.
Si on ajoute à cela la guerre en Ukraine qui a entraîné une forte tension sur l'énergie en particulier en Allemagne, très dépendante du gaz russe, ainsi que l'inflation sur les matières premières, la plus grande puissance européenne sent sa compétitivité plus que jamais menacée.
Une situation tendue qui pourrait expliquer ce revirement soudain de l'Allemagne.
« Si l'on se place dans un marché mondial, alors il faut prendre des décisions mondiales. Les acteurs européens ne luttent pas à armes égales avec les Etats-Unis et la Chine avec la réglementation. La conjoncture actuelle pourrait impacter négativement la compétitivité de l'Allemagne », souligne Guillaume Crunelle, analyste spécialiste auto chez Deloitte.
Les Allemands ont également pointé les problèmes de souveraineté qu'apportent le passage à l'électrique, même si des projets de gigafactory de batteries ont été annoncés dans le pays, en particulier celle de Tesla à Berlin.
Les carburants de synthèse, un « faux sujet »
Mais ce manque de compétitivité industriel ne peut pas être résolu par les carburants de synthèse selon le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui travaille sur le développement de nouvelles technologies pour la production de ces dénommés « e-fuels ».
Ces carburants, issus du CO2 atmosphérique combiné à de l'hydrogène produit avec de l'eau et de l'électricité par électrolyse, ne seront « verts » que si l'hydrogène est décarboné et que l'énergie nécessaire aux réactions pour les produire est également décarbonée.
Or, le rendement de ces carburants est faible.
« Rien qu'entre l'électricité entrant dans l'électrolyseur et la production d'hydrogène, 40% de l'énergie est perdue sous forme de chaleur », explique le CEA.
Pour l'organisme de recherche, ces carburants sont un non-sens pour l'industrie automobile car il s'agit d'une solution plus coûteuse en développement et en énergie que l'électrique.
« L'objectif est d'abord d'aider les plus grosses industries à sortir des fossiles, particulièrement celles qui peuvent difficilement fonctionner à grande échelle avec de l'électricité et de l'hydrogène, comme l'aviation et le maritime », estime le CEA.
Alors pourquoi l'Allemagne s'intéresse tant à ces fameux carburants ?
« C'est une question politique, pas industrielle », estime Transport et environnement.
L'ouverture à ces carburants de synthèse apparaît plutôt comme un intérêt du parti libéral démocrate allemand, à la peine dans les intentions de vote, qui cherche à promouvoir la compétitivité des entreprises allemandes et la souveraineté à l'heure où l'inflation pèse sur les budgets.
« Cette solution n'a ni un intérêt économique ni un intérêt écologique. Ces véhicules émettent autant de particules nocives - comme les oxydes d'azote - que les véhicules thermiques actuels. On déporte le débat vers un autre sujet. Cela fait du mal à la crédibilité européenne ainsi qu'à la vision des industriels. Ces carburants sont un faux sujet. La vérité est que si l'on ouvre pour l'e-fuel, le texte de loi sur la fin des moteurs thermiques sera plus difficile à appliquer », martèle l'association Transport et environnement.
En effet, difficile d'identifier sur la route ceux qui rouleront en carburants de synthèse « verts » de ceux qui continueront à l'essence issue des énergies fossiles.
Mais, selon le constructeur Porsche, cette solution serait en réalité une manière de décarboner le parc automobile restant. Il s'agit là d'un « complément » à l'électrique, qui reste le principal axe de développement.
Porsche, premier constructeur en ligne de mire
Le constructeur allemand appartenant désormais au groupe Volkswagen et bien connu pour le bruit et la puissance de ses moteurs thermiques a été le premier à véritablement se lancer dans la recherche sur les carburants de synthèse avec un projet baptisé « Porsche eFuel ».
L'entreprise a construit une usine dans le sud du Chili où elle a installé une éolienne pour tester un processus de fabrication du carburant synthétique décarboné, en partenariat avec ExxonMobil. Le constructeur n'a pas précisé les techniques sous le brevet déposé par ExxonMobil sur le passage de l'hydrogène au méthanol. L'objectif de Porsche est d'atteindre 550 millions de litres de carburant d'ici 2030 en plaçant 380 éoliennes dans ce pays où l'énergie renouvelable est moins chère.
Une ambition qui pose des questions sur les ressources puisqu'il faudra multiplier les surfaces disponibles pour les éoliennes ou autres énergies renouvelables si l'on veut alimenter tous les secteurs qui cherchent à décarboner.
Pour le CEA, « même en engageant des efforts importants - et indispensables - de sobriété, il restera toujours en France environ 30% d'énergies fossiles. Pour les réduire, il faudrait produire deux fois plus d'électricité dédiée à la production d'hydrogène ou de carburants de synthèse. »
Et ce n'est qu'au niveau français où le nucléaire est une énergie décarbonée, parce que l'Allemagne, elle, devrait développer bien plus d'énergie pour en faire autant.
Pour Transport et environnement, ces carburants dans l'industrie automobile ne sont en réalité qu'une « utopie ».
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