Pour maintenir l'activité, salariés et dirigeants ont opté pour une ultra-spécialisation dans des produits de pointe destinés à des voitures à très hautes performances. Fini, les pneus trop concurrentiels à faible valeur ajoutée. Le premier client de l'usine de Roanne est désormais Porsche, qui absorbera 40% de la production en 2023 (hors pneus de rechange), suivi de BMW, d'AMG - le label sportif de Mercedes -, d'Audi et enfin de Tesla.
Une question d'investissements
La survie de l'industrie automobile française n'est pas qu'une question de bonne volonté. Il faut investir massivement dans l'outil industriel. A Roanne, où travaillent 860 salariés, Michelin aura injecté 147 millions d'euros en deux tranches depuis 2015, selon son directeur Guilhem Hamiache. Une troisième tranche est programmée en 2024-2025. En contrepartie, l'usine devenue flexible tourne de 282 à 356 jours par an, avec cinq équipes en 3 x 8.
Passer d'une organisation peu productive, avec une offre sans grande valeur ajoutée, à des produits du futur hypertechniques? Tel était aussi le casse-tête de l'équipementier Forvia (ex-Faurecia). "On va évoluer progressivement des pots d'échappement pour véhicules thermiques à des réservoirs pour futurs véhicules à hydrogène, résume Yannick Cavalli, directeur des opérations industrielles de l'équipementier. C'est une équation compliquée." Le site d'Allenjoie (Doubs), qui emploie 200 personnes, a ainsi démarré fin mars ses premiers réservoirs pour Renault. "Ils représenteront la totalité de la production en 2028, avec une capacité de 100.000 unités par an", indique Franck Sarazin, le patron de l'usine.
Même montée en gamme pour Valeo: spécialisée dans les alternateurs pour véhicules à essence et diesel, l'usine d'Etaples (Pas-de-Calais) et ses 1.800 employés, s'est mise aux moteurs électriques 48 volts. Ils sont destinés aux voitures hybrides et quadricycles légers, comme la Citroën Ami. "Si rien n'avait été fait, nous aurions dû diminuer le personnel de 60%", assure Alberto Santos, le directeur d'Etaples. Aujourd'hui, ses premiers clients se nomment Volkswagen, BMW, Mercedes, Stellantis. Et son carnet de commandes est plein pour les cinq ans à venir.
Usine Valeo à Etaples (Pas-de-Calais). L'équipementier a misé sur une montée en gamme du site, passant de la production d'alternateurs à celle de moteurs électriques. Photo: Azzou/ Voix Du Nord /MaxPPP
Une reconversion vers l'électrique
Mais l'exemple le plus emblématique de cette révolution copernicienne est sans doute l'ex-site de Douvrin (Nord) de Stellantis. Cette usine de moteurs, surtout diesel, est en pleine reconversion pour devenir une usine géante de batteries. Il y a un an, la direction du groupe dirigé par Carlos Tavares trouvait un accord avec trois syndicats afin d'encourager les transferts vers la nouvelle société, ACC, détenue conjointement par Stellantis, Total et Mercedes. Résultat: en 2025, cette gigafactory devrait "atteindre 1.000 salariés", explique Yann Vincent, directeur général d'ACC.
Lire aussiElectriques : Comment Renault et Stellantis tentent de contrer la domination de la Chine
Et le potentiel industriel à Douvrin sera de 15 gigawattheures fin 2024, puis de 40 en 2027, de quoi équiper plus de 600.000 voitures électriques par an. L'équivalent des plus gros sites mondiaux. Ce projet ouvre la voie à deux autres usines sœurs en Allemagne et Italie, symboles d'une (relative) indépendance tricolore et européenne en matière de véhicules zéro émission.
Le volet formation
Le maintien du Made in France dans l'automobile passe aussi par un effort sans précédent dans la formation. Début 2022, "Michelin a ouvert la Manufacture des Talents en vue de former 60.000 personnes à Clermont-Ferrand", rappelle Pierre-Louis Dubourdeau, directeur industriel du fabricant de pneus. Plus récemment, Forvia a inauguré la H2 School Hydrogen Academy. Celle-ci dispense "70 modules de formation en plusieurs langues qui couvrent 100% des métiers liés à l'hydrogène", détaille Yannick Cavalli.
Avec les bouleversements du secteur, il est impératif de faire évoluer les compétences partout. Et ça marche. A l'usine Valeo d'Etaples, "les opérateurs ne représentent plus que 30% de nos effectifs, contre 80% il y a dix ans", met en avant Michel Forissier, directeur de l'ingénierie de Valeo. Chez Michelin, à Roanne, l'effort de formation a été tel que "40% de l'équipe de direction du site est composée de salariés ayant commencé comme opérateurs", abonde James Mercier, manager chargé de la formation.
Produire local
Une autre clé pour préserver la filière en France consiste à bâtir des écosystèmes régionaux. "Nos pneus, hors matières premières, sont mis au point et réalisés dans un rayon de 200 kilomètres autour de Roanne", indique Guilhem Hamiache. Concrètement, les pneus sont développés à Ladoux, près de Clermont-Ferrand, 60% des gommes produites à Blanzy (Saône-et-Loire), les moules fabriqués à La Combaude (Puy-de-Dôme) et les machines automatisées C3M près de Lyon. Globalement, chez Michelin, 80% de l'ingénierie reste basée en France. Pour sa part, Forvia a constitué un "écosystème dans la vallée de Montbéliard, avec un centre technique et autour des acteurs comme Alstom, Stellantis, afin de créer une Hydrogen Valley", s'enthousiasme Yannick Cavalli.
Lire aussiVoitures électriques : dans le Nord, Renault renforce ses partenariats locaux autour d'ElectriCity
Troisième facteur décisif d'une compétitivité tricolore recouvrée: le compactage des sites industriels dans le but de réduire fortement les dépenses. "Les usines de Stellantis, Valeo, Michelin sont désormais bien calibrées", considère Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile, qui rassemble les acteurs de la filière. Celle de Sochaux (Doubs) est ainsi passée "de 725.000 m2 à 490.000 en dix ans, indique Christophe Montavon, responsable de ce site phare de Stellantis. Et nous visons 310.000 en 2025." Elle est devenue l'usine de production de SUV la plus performante d'Europe, tous constructeurs confondus, selon les indicateurs internes du groupe. Le site Renault de Douai, pour sa part, a réduit sa superficie de plus de moitié à l'occasion du passage de la production de voitures thermiques aux électriques.
Chaîne de montage de la Renault Megane e-Tech, à Douai (Nord). Cette usine, qui est passée à l'assemblage de véhicules électriques, a divisé par deux sa surface, pour une meilleure productivité. Photo: Yves Forestier/Alkama/Renault
Objectif : écologie
Enfin, la France dispose d'un atout pour rester dans la course: l'énergie décarbonée, cruciale pour la fabrication des batteries, très énergivore. Par ailleurs, les usines tricolores fournissent de gros efforts pour réduire les consommations et dépolluer la production. Un argument majeur pour les investisseurs en quête de verdissement. La désindustrialisation tricolore? "Ce n'est pas une fatalité, il faut trouver une vision pour l'avenir et les solutions techniques qui vont avec", veut croire Michel Forissier, de Valeo. "Notre production en France est corrélée à celle de nos clients constructeurs", rappelle cependant Laurent Favre, directeur général de Plastic Omnium. Or la France pèse à peine 1,8% de la production mondiale, contre 6% il y a vingt ans (voir le graphique ci-dessous). Le nombre de véhicules fabriqués dans l'Hexagone est même "revenu au niveau de 1973", assène Claude Cham, président de la Fédération des équipementiers, la Fiev.
Il faudra donc relocaliser. C'est l'objectif de Renault avec son pôle Electricity dans le Nord, qui fabriquera les R5 électriques à partir de 2024. Pour réussir son pari, le constructeur devra toutefois "assembler une voiture en dix heures à peine, battant ainsi un record mondial", avance le cabinet de conseil Roland Berger. Un redoutable défi humain et technique. La survie de ce secteur majeur pour l'économie est à ce prix.
Deux décennies de recul industriel
Cette année, Renault recrutera 300 personnes en CDI dans les usines du pôle Electricity (Nord) ainsi que 116 sur le site mécanique de Cléon (Seine-Maritime). De même, Stellantis annonçait début avril la création de 1.200 postes cette année, après 1.050 l'an passé. Mais ces bonnes nouvelles n'infléchiront pas l'effondrement des effectifs dans l'Hexagone. Stellantis est ainsi passé de 126.000 salariés en 2005 à 98.000 en 2010 et 47.000 fin 2022. Ceux de Renault ont chuté pour leur part de 70.000 en 2005 à 45.600 en 2015, et 38.100 en décembre dernier. En cinq ans, le secteur aura donc globalement perdu 100.000 emplois, à 431.000 fin 2021, au gré des délocalisations comme celle de la Peugeot 208 (fabriquée en Slovaquie et au Maroc) ou de la Clio Renault (Turquie et Slovénie). Et ce n'est pas fini. Le cabinet de conseil Alix Partners, pourtant prudent généralement, prévoit une nouvelle diminution de 40.000 personnes environ entre 2022 et 2030.
Une dégringolade logique: la France a produit 1,37 million de véhicules l'an dernier, selon IHS Markit, contre 3,66 millions lors du pic historique de 2004. Résultat, le déficit de la balance commerciale dans le secteur a frisé en 2022 les 20 milliards d'euros.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "Michelin, Forvia, Valeo... Opération relance pour l'automobile "made in France" - Challenges"
Post a Comment