
La décision prise par l’Union européenne d’interdire dès 2035 la commercialisation de véhicules neufs à motorisation thermique (essence comme Diesel) ne laisse guère le choix aux constructeurs : ils doivent investir sans tarder dans la traction électrique à batterie, seule solution technique viable pour les véhicules légers (le surcoût de la pile à combustible la destine d’abord aux transports lourds). D’emblée toutefois se dresse un obstacle économique sur la route qui mène à la voiture électrique : un surcoût moyen de l’ordre de dix mille euros pour un modèle compact capable de tenir 400 kilomètres sur autoroute. Avec le risque “que personne ne puisse se le payer”, redoute Gilles Le Borgne, directeur de la recherche-développement chez Renault.
Porter atteinte à la liberté de mouvement est socialement problématique
Le directeur général du groupe Stellantis Carlos Tavares ne mâche pas davantage ses mots, lorsqu’il prédit que “nous aurons collectivement un problème, si on interdit l’accès des classes moyennes à la mobilité”. Une conviction qui donne le ton de l’échange de vues avec l’économiste Christian Gollier, lors du Sommet du Bien commun coorganisé par la Toulouse School of Economics (TSE), Challenges et Les Echos-Le Parisien Evénements, autour du thème de la place de la mobilité individuelle dans une société décarbonée.
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Soucieux d’analyser le rapport entre coûts et bénéfices de la transition énergétique, le directeur de Toulouse School of Economics confirme le diagnostic fait par Jean Pisani-Ferry dans son rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, remis voici quelques jours à la Première ministre Élisabeth Borne : "La transition énergétique sera fondamentalement inégalitaire”, assène Christian Gollier. Qu’il s’agisse de baisser le chauffage à domicile ou de passer à la voiture électrique, “les efforts sont coûteux en termes de perte de confort.” Pour l’économiste, nos économies doivent se faire à l’idée que “l’ère des énergies bon marché est révolue”.
La voiture électrique réclamée par Bruxelles coûte 40 à 50% plus cher à fabriquer que son équivalent à essence
Carlos Tavares n’en disconvient pas mais il s’inquiète sur les effets sociaux d’un changement “aussi brutal et radical”. A l'entendre, l’empressement des politiques à électrifier le parc automobile leur a fait oublier l’impact social de cette conversion accélérée : “S’attaquer aux plus pauvres, ce n’est pas raisonnable”, estime l’industriel qui se désole de n’avoir pas été entendu il y a cinq ans, lorsqu’il tirait déjà la sonnette d’alarme. “Il faut protéger la liberté de mouvement de chacun”, martèle-t-il.
France Stratégie a calculé que le coût d’acquisition moyen d’une voiture électrique représente l’équivalent de deux ans de revenus pour les 20% des Français les plus pauvres, contre un peu plus d’un an pour les classes moyennes. A l’heure où les ménages doivent arbitrer entre leurs dépenses de logement et d’alimentation, le budget alloué à l’automobile va en diminuant. Un indice ne trompe pas. En France, la voiture la plus vendue aux particuliers est la Dacia Sandero, l’un des modèles les moins coûteux à l’achat comme à l’entretien (5.310 euros de moins que sa cousine, la Renault Clio).
Un sondage réalisé cette semaine par Challenges montre qu’un automobiliste sur cinq seulement se déclare prêt à passer à l’électrique. C’est peu. Pas moins de 86% des particuliers consultés par le Sénat et 79% des professionnels sont opposés à la mise en place de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), un instrument perçu comme “une véritable rupture d’égalité d’accès au centre de ville selon que vous soyez aisé ou non", résume l’un des répondants.
Taxer le carbone et les carburants, pour inciter les automobilistes à passer à l’électrique subventionnée
Pour Christian Gollier, la question de l’acceptabilité sociale ne peut se résoudre qu’en réduisant le coût du passage à la voiture électrique. A l’entendre, deux instruments s’offrent aux gouvernements : d’une part subventionner l’acquisition du véhicule pour compenser son surcoût (quitte à “nuire au bien commun en creusant le déficit des dépenses publiques”) ; d’autre part taxer les émissions de carbone. L’économiste estime que l’Union européenne aurait échoué dans sa tâche si, avant 2035, elle n'avait pas mis en place “une taxe carbone à hauteur de 200 euros la tonne de CO2”. Ce qui reviendrait à renchérir de 50 centimes le prix à la pompe d’un litre de carburant.
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Carlos Tavares ne conteste pas l’utilité de tels prélèvements, qui pourraient servir à “soutenir les foyers les plus modestes” dans leur transition énergétique. Mais il met en garde les autorités contre les effets inflationnistes de la taxe carbone. Elle risque non seulement de diminuer la compétitivité industrielle de l’Europe, mais aussi d’entamer le pouvoir d’achat de ses citoyens en renchérissant le prix des produits importés d’Asie. Une manière peu constructive de lutter contre l'avantage coût de l’ordre de 25% dont profitent les voitures électriques chinoises. “S’adapter à cette concurrence sera dur et probablement brutal”, prédit Carlos Tavares.
L’emploi en Europe va souffrir du passage à la voiture électrique
Autre péril d’une transition trop rapide au tout-électrique, la casse sociale et la perte de soixante dix mille emplois rien qu’en France, selon les estimations de la Plateforme de l’Automobile (PFA). Non seulement l’assemblage d’une voiture électrique requiert moins de main-d’œuvre, mais elle embarque moins de pièces fabriquées par un tissu dense de fournisseurs qui ne pourront pas tous se reconvertir. Combiné au renchérissement du prix des voitures, le marché français pourrait passer de 2 millions de voitures aujourd’hui à 1,5 million seulement en 2030, selon les estimations de France Stratégie.
“La taille du marché est contrôlée par l’autophobie, pas par moi”, réagit Carlos Tavares en dénonçant l’aveuglement des élus français comme européens, dont “aucun ne veut assumer les conséquences sur l’emploi” du passage au tout-électrique. “Pourquoi voulez-vous garder une usine, si nous ne produisez plus et ne vendez plus de voitures, je vous le demande?”, lance provocateur l’industriel en indiquant qu’une usine produit en moyenne 150.000 véhicules par an. “Si le marché baisse de 20%, alors vous savez quel est le nombre d’usine qu’il faut fermer”. L’indication de lendemains qui déchantent.
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