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Automobile : quand le neuf prend un coup de vieux - Le Monde

MICAEL

L’automobile glisse sur une mauvaise pente. Elle est en train de redevenir un produit de luxe. Un signe ne trompe pas : les particuliers achètent de moins en moins de voitures neuves. Désormais minoritaires, ils ne représentent plus que 45 % du total des immatriculations, une érosion de cinq points en quatre ans. En 2019, 3,3 % des ménages français ont fait l’acquisition d’un véhicule flambant neuf. Il y a trente ans, ils étaient 7 %. Même s’il est plus que compensé par d’autres canaux de vente, en particulier celui des flottes d’entreprise, ce déclin n’a rien d’anodin.

Un tel effet de ciseaux, également perceptible dans les autres pays européens, traduit moins l’avènement d’une conception utilitariste qui ravalerait la voiture au rang de simple outil de déplacement que l’ombre portée de plusieurs transformations perceptibles au sein de la société française. Indirectement, ce basculement témoigne aussi des difficultés qu’éprouvent les marques à s’adapter à la révolution énergétique qu’il leur faut mener à terme.

Une gentifrification rampante

Sous l’effet de la hausse des tarifs et de l’alourdissement de la fiscalité liée à automobile, la base sociale des acheteurs de modèles neufs n’a cessé de se rétrécir au cours des dernières décennies. Le profil de la clientèle se concentre de plus en plus autour des catégories disposant d’un pouvoir d’achat conséquent. Salariés du haut de l’échelle, professions libérales et retraités sont surreprésentés dans les halls des concessionnaires. L’âge médian de l’acheteur ? Il s’approche inexorablement des 60 ans. Sa dépense moyenne ? Elle augmente régulièrement et tutoie désormais les 25 000 euros, remise déduite. Une gentrification rampante que ne parvient guère à contrarier l’essor des marques low cost, dont la clientèle se partage à peu près équitablement entre les ménages à budget contraint et ceux qui, plus aisés, refusent tout simplement de consacrer autant de moyens qu’auparavant à l’acquisition d’une voiture. L’objet, à vrai dire, n’est plus autant supposé refléter sa position dans la société. Le succès des formules de location longue durée (LOA) suggère aussi que le rapport de propriété s’est distendu.

Le décrochage n’est pas seulement le fait des constructeurs ou la conséquence de l’enrichissement technologique et sécuritaire des automobiles. Il reflète aussi la paupérisation d’une partie des classes moyennes. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que le marché de l’occasion ait encore battu des records l’an passé. Avec 5,7 millions d’unités, il pèse désormais presque trois fois plus lourd que le marché du neuf (2,2 millions). « Avec l’électrification des gammes, les tarifs vont certes augmenter mais les constructeurs sont tout de même capables de proposer aux particuliers, via les formules de location longue durée, des loyers mensuels contenus », plaide cependant Amaury de Bourmont, directeur du commerce pour Citroën et DS.

Le fameux rebond de décembre

A plus court terme, plusieurs éléments contribuent à dissuader les candidats à l’achat. Dans les grandes agglomérations, la perspective d’une interdiction de circuler opposée au diesel tout comme l’instabilité de la fiscalité écologique, mais aussi l’ouverture du spectre énergétique (entre micro-hybride, hybride, hybride rechargeable, tout-électrique, GPL, Flexfuel, il y a de quoi s’y perdre), compliquent singulièrement les choix. Et font parfois des déçus. « Certains automobilistes qui, ces dernières années, avaient abandonné le diesel et opté pour un moteur essence se sont aperçus que cela leur coûtait beaucoup plus cher que prévu. Du coup, ils se retrouvent un peu perdus et préfèrent attendre ou renoncent à changer de véhicule », analyse Flavien Neuvy, qui dirige l’Observatoire Cetelem de l’automobile. Rouler en hybride n’est pas, non plus, forcément synonyme d’économies et opter pour le tout-électrique réclame d’avoir la foi chevillée au corps.

Les canaux qui viennent compenser le reflux des particuliers exercent des effets ambivalents. La montée en charge des ventes aux flottes d’entreprise compose un mouvement de fond qui ne date pas d’hier. « Les sociétés utilisent la voiture de fonction comme un complément de rémunération. Cela permet à ceux qui en bénéficient de se sentir valorisés et de rouler avec des modèles qu’ils ne seraient vraisemblablement pas en mesure de s’offrir par eux-mêmes », résume Flavien Neuvy. A rebours de la prise de distance souvent constatée parmi les acheteurs particuliers, le véhicule de société, habituellement réservé aux cadres et aux dirigeants d’entreprise (non sans respecter une stricte hiérarchie dans l’attribution des modèles et des finitions), plébiscite les signes extérieurs de statut social. Il accorde une nette préférence aux marques les plus huppées, fait la part belle aux SUV – tout en délimitant la dernière terre d’élection des grandes berlines –, ne lésine pas sur les chromes, les grandes roues et les équipements à fort contenu technologique. Pour faciliter sa revente, le véhicule de société bannit les couleurs trop originales. On s’en tiendra surtout au blanc, au gris ou au noir.

La diffusion d’autres pratiques, pudiquement regroupées sous le vocable de « ventes tactiques », a aussi modifié le rapport à l’automobile. Il s’agit de véhicules mis quelques mois à la disposition des loueurs de courte durée mais aussi et surtout des immatriculations réalisées par les concessionnaires eux-mêmes. « La rémunération du réseau est de plus en plus étroitement liée à la réalisation d’objectifs de vente. Alors, lorsqu’il manque un peu de volume pour les atteindre, on peut recourir à des immatriculations de véhicules de démonstration qui seront ensuite cédés comme des occasions zéro kilomètre », témoigne Amaury de Bourmont.

Le très artificiel rebond du marché automobile français enregistré en décembre 2019 (une hausse de 27 %) reflète l’intensité de cette traditionnelle course aux volumes du dernier mois de l’année qui incite les garages à siphonner leurs stocks avec les moyens du bord. On peut aussi, et surtout, y voir la traduction des secousses engendrées par la refonte, à la hausse, du malus écologique engagé en 2020. En décembre 2019, les concessionnaires ont en effet immatriculé en catastrophe certains modèles devenus virtuellement invendables car exposés à compter du 1er janvier 2020 à une taxation jugée dissuasive. Des voitures plutôt haut de gamme, puissantes et bien équipées qui vont devoir trouver acquéreur comme « occasion récente », à prix cassé. Quelques bonnes affaires en perspective pour les particuliers…

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