Munich (Allemagne), reportage
« On s’est levés à 5 heures pour être là ! » Partis à vélo de Freising, à 40 kilomètres au nord de Munich, Monika et Arthur, un couple de septuagénaires, ont rejoint la capitale de la Bavière pour participer à une manifestation de deux-roues contre le salon automobile international (IAA), du 7 au 12 septembre. « Je fais ça pour les enfants et les générations futures », souligne Monika, qui avait déjà pris part à un tel rassemblement en 2019.
Organisé traditionnellement à Francfort depuis 1951, ce salon bisannuel a pris la décision de quitter les rives du Main après une édition 2019 désastreuse, marquée par une faible fréquentation et d’importantes mobilisations. Pas moins de 700 fabricants se sont ainsi retrouvés dans le sud de l’Allemagne pour y exposer leurs nouveautés. Soucieux de son image, le salon a voulu se réinventer : fini le show automobile, place à l’« IAA Mobility », où l’on parle « mobilité du futur », « économie circulaire » et où la plupart des véhicules présentés sont électriques.
- Une affiche des opposants à l’IAA, place de l’Odéon à Munich.
Loin de se cantonner au seul hall des expositions en périphérie, l’IAA a aussi investi massivement le centre-ville. Les statues de Maximilien Ier ont côtoyé durant quelques jours les stands de Porsche et Audi. Sur la place Max-Joseph, BMW et Mini ont fait la promotion de leur « développement durable » et à quelques pas de là, un « Citizen Lab » a été érigé ; un espace d’échanges et de débats avec les citoyens où l’on pouvait surtout récupérer des goodies de l’aéroport de Munich en faisant voler des avions en papier.
- À Munich, durant l’IAA, les stands des constructeurs automobiles ont envahi les espaces publics. © Arthur Devriendt/Reporterre
« On a besoin d’un changement de mobilité »
Pour les associations de défense de l’environnement, l’écoblanchiment est total. Elles soulignent que contrairement à ce qui est présenté ici, « 95 % des voitures neuves commercialisées sont encore à moteur thermique ». Et que même si le passage à l’électrique était réel, cette réponse ne serait pas à la hauteur des enjeux du réchauffement climatique : « On n’a pas besoin d’un changement de motorisation, mais d’un changement de mobilité », a déclaré Christoph Bautz, fondateur et dirigeant de Campact, un mouvement connu pour ses pétitions en ligne et son rôle dans certaines des plus grandes mobilisations récentes en Allemagne.
Avec une dizaine d’autres organisations (dont Greenpeace, Attac ou encore la puissante association cycliste ADFC), ils ont appelé à une journée de manifestations samedi 11 septembre. Les cyclistes de toute la région étaient invités à rejoindre le centre-ville avec un parcours prédéfini. Peter, lui, a par exemple roulé plus de six heures avec son vélomobile pour parcourir les quelque 200 kilomètres qui séparent Nuremberg de Munich.
- Familles et enfants se réunissant au parc olympique de Munich. © Arthur Devriendt/Reporterre
Tous ne partaient pas d’aussi loin. Pour les enfants et leurs parents, les organisateurs avaient donné rendez-vous au parc olympique de la ville pour un Kidical Mass, un format de mobilisation particulièrement répandu en Allemagne. Au bord du lac, sportifs et promeneurs s’activaient sous le soleil en ce dernier samedi de vacances scolaires. En arrière-plan, la tour imposante du musée BMW rappelait le poids de l’industrie automobile dans l’économie régionale.
Jakob, sa femme et leurs deux enfants étaient parmi les premiers arrivés. « On aimerait être traités d’égal à égal, et cela ne peut se faire qu’en réduisant le transport individuel motorisé, dit Jakob, qui se déplace principalement à vélo. Les voitures doivent être retirées, les voies de circulation libérées et les surfaces partagées de manière juste. »
- Les opposants à l’IAA dénonçant l’écoblanchiment de l’événement. © Arthur Devriendt/Reporterre
Deux mondes : « Ceux qui regardent les nouvelles voitures et ceux qui protègent le climat »
Aux alentours de 13 heures, la place du centre-ville était remplie et l’ambiance joyeuse ; les chansons d’un groupe de rap comique apprécié des plus jeunes formant la bande-son de l’événement, avec des slogans à l’avenant, tel : « Ta voiture sent plus mauvais que mon prout. » Avec sa fille de 5 ans, Tina s’est jointe à la rencontre sans hésiter : « C’est son futur. J’ai 40 ans maintenant et cela ne me concernera plus trop, mais ma fille, elle, je veux qu’elle voie cela. »
Après un dernier rappel des consignes de sécurité, l’important convoi s’est mis en route. Direction la « prairie de Thérèse », site de la célèbre Oktoberfest. Dans le même temps, un cortège quittait la prairie à pied, s’élançant dans les rues de la ville. Les organisateurs ont revendiqué 5 000 manifestants et 20 000 cyclistes (respectivement 4 500 et 10 000 selon la police). Le défilé a marché sous forte escorte policière, en particulier autour des militants de Sand im Getriebe (« Du sable dans les rouages »), un rassemblement de groupes anticapitalistes revendiquant un changement radical du système de mobilité. Quand deux de leurs activistes ont réussi à grimper dans des arbres pour y déployer une banderole, les forces de l’ordre ont fait usage de leur matraque et de gaz lacrymogènes.
- Une activiste de Sand im Getriebe à l’assaut d’un arbre à Munich. © Arthur Devriendt/Reporterre
Fondé en 2019 à l’occasion de l’IAA à Francfort, qu’ils avaient réussi à perturber, Sand im Getriebe voulait reproduire à Munich le même résultat avec un objectif clair : « Faire de cette fête de l’automobile un désastre. » La veille, vendredi 10 septembre, alors que le salon automobile s’ouvrait au grand public, ils avaient organisé une journée d’actions de désobéissance civile, avec des blocages et des occupations de différents lieux du salon.
- La façade d’un bâtiment occupé par Sand im Getriebe à Munich durant l’IAA. © Arthur Devriendt/Reporterre
En face, les autorités avaient prévu un important dispositif policier de 4 500 agents pour ce qui était présenté localement comme « la plus grande opération de ces vingt dernières années ». Les affrontements n’ont toutefois pas été systématiques : sur la place de l’Odéon, haut lieu de l’IAA avec la présence d’un impressionnant stand de Mercedes – F1 électrique à l’appui et toit végétalisé — la police est restée « cool », selon Antja. Venue de Berlin et habituée de ce genre d’actions, la jeune activiste a été en revanche marquée par la rencontre entre « ces deux mondes parallèles » qui se sont croisés quelques heures, « ceux qui regardent les nouvelles voitures et ceux qui protègent le climat ».
- Des militants de Sand im Getriebe devant un bâtiment occupé. © Arthur Devriendt/Reporterre
L’attitude des forces de l’ordre a néanmoins été sévèrement critiquée. Restrictions de mouvement, contrôles répétés, gardes à vue préventives... la police n’y est pas allée mollement. Une arrestation avait donné le ton en début de semaine : celle de militants qui avaient bloqué le trafic sur des autoroutes avec une action d’affichage, qui n’ont été relâchés que le dimanche. « C’est comme ça que ça marche en Bavière ! » s’était réjoui sur Twitter le secrétaire général du parti conservateur bavarois CSU, Markus Blume.
À ces difficultés policières se sont ajoutés de multiples obstacles avec l’administration. Établi sur la prairie, le camp des activistes a dû revoir à plusieurs reprises sa configuration pour répondre aux demandes changeantes des autorités. Idem pour les tracés des manifestations à vélo où des décisions ont amené les organisateurs à refaire leur programme en urgence. Impossible, par exemple, de faire circuler les deux-roues sur des tronçons d’autoroute, comme cela était prévu initialement.
C’est du côté du contre-sommet Kontra-IAA, coorganisé par la fondation Rosa-Luxemburg, que les contributions ont été les plus riches. Dans la perspective d’une transformation de nos pratiques de mobilité, quelles solidarités établir avec les travailleurs du secteur automobile ? Comment prendre en compte les problématiques de genre et de handicap ? Quelles relations entretenir avec les pays du Sud ? Autant de questions nécessaires pour penser la « mobilité du futur », qu’un salon automobile ignore encore.
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