Les autorités européennes s'apprêtent à bannir d'Europe tout véhicule neuf thermique ou hybride en 2035, en n'autorisant que les véhicules 100% électrique, dit « zéro émission » à l'usage. En ont-elles seulement mesuré toutes les conséquences, et l'Europe remplit-elle toutes les conditions pour y parvenir en préservant sa souveraineté et opérant une transition acceptable pour tous ?
Soyons clair d'emblée : la filière automobile - constructeurs, équipementiers et fournisseurs - s'est engagée sur l'objectif de neutralité carbone en 2050 et a fait de l'électrification du parc le vecteur principal de sa transformation pour relever le défi climatique. Elle est favorable à une réglementation ambitieuse pour fixer le cadre de cette transition. Mais faut-il faire du 100% électrique la solution unique en Europe ? Est-ce le meilleur choix pour baisser au plus vite les émissions globales de CO2 ? Est-ce compatible avec l'objectif d'une transition juste ?
Imposer réglementairement une technologie a rarement été une réussite : aux pouvoirs publics de fixer les objectifs, aux industriels d'apporter les solutions technologiques les plus appropriées pour les atteindre. C'est ce que nous appelons le principe de neutralité technologique. La réglementation doit laisser ouvert le plus possible le champ de l'innovation et s'appuyer sur une approche globale d'analyse de cycle de vie. Et non se focaliser uniquement sur les émissions de CO2 à l'usage, comme c'est le cas aujourd'hui. Cela peut conduire à des absurdités en termes d'émissions de CO2 lorsque l'électricité utilisée pour fabriquer le véhicule (et notamment la batterie) et le faire rouler est fortement carbonée, comme c'est le cas en Pologne et dans une moindre mesure en Allemagne. Et, pour certains usages, l'hybride ou l'hybride rechargeable paraît plus pertinent en termes d'empreinte CO2 que le 100% électrique grâce à une batterie beaucoup plus modeste, et d'autant plus s'il utilise des carburants bas carbone.
Deuxième préoccupation est le consommateur. Le choix dicté par la réglementation conduit à un renchérissement sans précédent du coût d'un véhicule. Et les tensions inflationnistes actuelles accentuent encore les écarts de prix entre véhicules thermiques et électriques. A-t-on mesuré le risque de voir les classes moyennes exclues du marché ? Il ne s'agit pas de plaider pour le statu quo, mais attention au risque de révolte sociale, pour tous ceux qui n'ont pas le choix, sans parler du risque de freiner le renouvellement du parc qui est le facteur numéro un d'amélioration de la qualité de l'air.
Par ailleurs, le manque de bornes de recharge est aujourd'hui un frein au développement de l'électrique : on ne peut pas d'un côté demander aux industriels d'accélérer, et, de l'autre, rester petit bras sur les infrastructures, notamment dans le résidentiel collectif et pour les bornes sur le domaine public.
Le risque de dépendance à des matériaux stratégiques indispensables à la transition - pas ou peu présents en Europe - constitue la troisième source de préoccupation à faire de l'électrique la solution unique. Sans doute n'est-il pas inutile de rappeler que pour remplacer les hydrocarbures et atteindre la neutralité carbone en 2050, l'UE aura besoin à cette date de 35 fois plus de lithium qu'aujourd'hui (800.000 tonnes par an), selon Eurométaux, l'association européenne des producteurs de métaux. Jusqu'à 26 fois plus de terres rares seront nécessaires, deux fois plus de nickel... des éléments indispensables aux équipements de demain (voitures électriques, rotors d'éoliennes, unités de stockage...). Sans parler du cuivre dont les besoins croissent également très rapidement.
La crise que nous traversons a démontré combien une économie résiliente repose sur un appareil productif puissant et intégré. La notion d'indépendance prend tout son sens lorsque les pénuries de produits essentiels apparaissent. Cette indépendance doit être économique et technologique. L'Europe doit donc réagir vite pour ne pas voir disparaître son industrie, et doit engager en urgence la reconquête de notre souveraineté industrielle.
L'enjeu social est de taille : ce sont 100 000 emplois qui sont menacés d'ici 2035 dans la filière. Pour rendre cette transition acceptable, il est indispensable de réussir à créer massivement et rapidement des emplois dans les nouvelles chaines de valeurs de la batterie, de l'hydrogène, de l'électronique, ou encore du logiciel, clés d'une mobilité plus propre, partagée, connectée et mieux intégrée dans nos territoires. Les projets sont là : créons les conditions pour les réussir, par des mesures en faveur de la compétitivité et par un effort sans précédent pour la montée en compétence des salariés qui devront se reconvertir.
Voilà pourquoi, en alertant sur le pari risqué que constitue le choix d'une solution unique, nous plaidons pour le maintien d'un tissu industriel fort et compétitif, pour la souveraineté technologique et pour l'accompagnement des consommateurs les plus modestes : conditions indispensables pour réussir la transition écologique des mobilités en Europe.
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