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Le Sénat veut autoriser les circuits automobiles à faire plus de bruit - Reporterre

Les circuits automobiles pourraient s’affranchir de certaines normes sur le bruit. Cette disposition a été votée par le Sénat et fait bondir les associations de riverains des circuits.

Les circuits automobiles vont-ils être autorisés à faire encore plus de bruit ? Telle est la crainte de certaines associations de riverains après l’adoption, le 23 novembre, d’une proposition de loi de la sénatrice de Gironde, Nathalie Delattre. Son but : permettre aux circuits automobiles de s’affranchir du respect d’un arrêté d’avril 2017 imposant des normes strictes en matière de pollution sonore.

Si la proposition est adoptée par les députés, les fans de grosses cylindrés pourront jouir sans entrave du vrombissement de leurs moteurs aux dépens des riverains et de l’environnement. Le texte « ne crée pas un droit à la pollution sonore et n’offre pas un blanc-seing aux sports mécaniques pour faire du bruit. Elle propose de trouver un compromis entre survie des circuits et santé publique », assurait Nathalie Delattre lors du débat au Sénat.

Pour comprendre l’enjeu de ce texte, il faut consulter la jurisprudence. Jusqu’en 2017, les fédérations de sport automobile négociaient directement avec le préfet des accords locaux sur le respect des normes acoustiques. « Cela permettait d’obtenir des dérogations à certaines obligations du Code de la santé publique qui protègent la santé des riverains », explique Justine Monnereau, responsable communication du Centre d’information sur le bruit, une association qui travaille en faveur d’une meilleure qualité environnementale et sonore.

La publication d’un arrêté au Code de la santé publique en avril 2017 a mis fin à ces arrangements. « À l’époque, le législateur considérait que toutes les pollutions sonores devaient être traitées de la même façon », poursuit Justine Monnereau. La proposition de loi de Delattre viendrait justement remettre en cause ce texte, en facilitant à nouveau des décisions au cas par cas, selon les circuits.

Des histoires de décibels

Cet arrêté de 2017 prévoit que les sons émis par des installations sportives, entre autres, ne doivent pas excéder cinq décibels au-dessus du « bruit résiduel ambiant » le jour et trois décibels la nuit. Le bruit résiduel ambiant est déterminé par les sons du quotidien : chants d’oiseaux à la campagne, embouteillages dans les grandes villes, etc. La plupart des sons de la vie courante sont compris entre 30 décibels (une chambre à coucher) et 90 décibels (le passage d’un TGV).

Prenons l’exemple d’un village où ce bruit résiduel atteindrait 40 décibels. Le bruit à l’extérieur d’un circuit situé à proximité ne pourrait pas dépasser 45 décibels. Une norme difficile à respecter, lorsqu’on sait que le vacarme des moteurs atteint rapidement 90 à 100 décibels.

« La pose des capteurs […] se fait à l’appréciation des autorités locales »

Comment définir précisément l’intensité ce bruit résiduel ? Faut-il prendre en compte la tondeuse à gazon que le voisin utilise tous les dimanches à l’heure de la sieste ? La mobylette pétaradante de l’adolescent du bout de la rue ? Cette appréciation demeure très subjective. « On ne nie pas la souffrance des gens. Mais cette règle permet de rendre les infractions recevables », dit Didier Dufournet, le directeur de l’entreprise Azimut monitoring.

Cette compagnie privée mesure le bruit d’une trentaine de circuits de vitesse et de karting depuis 2008. Elle pose les capteurs dans l’environnement d’un circuit. Un sujet assez délicat, puisque le bruit peut se diffuser à deux ou trois kilomètres en fonction des conditions météo ou de la topographie. « La pose des capteurs est parfois mal définie dans les textes. Elle se fait donc à l’appréciation des autorités locales », dit Didier Dufournet.

La publication de cet arrêté en 2017 a permis à certaines associations de voisinage d’engager des procédures juridiques contre les circuits, comme à Albi. « Dix jours après la parution du décret, nous avons écrit à la préfecture pour demander son application sur le circuit d’Albi. Mais le préfet a tergiversé. Pendant une année, on nous a roulés dans la farine », relate Gérard Hernandez, membre de l’association des riverains de l’autodrome d’Albi-Le Séquestre, en conflit depuis plusieurs années avec l’infrastructure. Le circuit avait déjà été condamné deux fois avant de gagner en cassation le 28 novembre dernier.

« On ne peut que déplorer qu’une poignée de grincheux ait quand même réussi à mettre à mal notre fleuron internationalement connu, marqueur de l’attractivité de notre territoire », a déclaré Didier Sirgue, l’ancien gestionnaire de l’autodrome qui avait jeté l’éponge face aux procédures judiciaires.

« Ce jugement est un revirement complet qui peut s’expliquer par la médiatisation de la proposition de loi des sénateurs et la célérité avec laquelle ce projet est proposé à l’Assemblée nationale et donc au vote des députés », assure de son côté Gérard Hernandez.

Des procédures partout en France

Les riverains d’Albi ne sont pas les seuls à se battre contre les nuisances sonores. En Saône-et-Loire, l’association Vigilance Nature Environnement Bresse Revermont a lancé ses premières procédures contre le circuit de Bresse dès 2008. « Le décret de 2017 n’a pas changé grand-chose. Le circuit a toujours payé les amendes mais n’a jamais baissé le bruit. Le montant des amendes est même budgété dans ses bilans financiers », assure Jean-Paul Verguet, membre de l’association.

Combien de circuits sont-ils attaqués en justice par des voisins excédés ? Contactées par Reporterre, la Fédération française de sport automobile et la Fédération française de motocyclisme n’ont pas répondu à nos questions. Il faut donc fouiller dans la presse locale pour trouver des informations. Dans le Gers, le circuit de Nogaro est conflit depuis 20 ans avec ses riverains. Dans la Creuse, des voisins s’opposent à la réouverture du circuit du Mas du Clos. En 2021, la justice a retoqué le projet de circuit automobile de Faveyrol en Dordogne.

« Les circuits font beaucoup d’efforts depuis 10 ans »

Sur la cinquantaine de circuits en asphalte de France, combien sont en infraction avec le décret d’avril 2017 ? Là encore, les fédérations n’ont pas souhaité répondre à nos questions. « Ces règles sont disproportionnées, voire parfois inapplicables, et mettent en péril l’avenir des sports mécaniques en France », a affirmé la sénatrice Nathalie Delattre.

Didier Dufournet, le directeur d’Azimut monitoring, estime pourtant que seuls 5 % des jours d’activités ne respecteraient pas les règles. « Les circuits font beaucoup d’efforts depuis 10 ans. On a une situation globalement apaisée avec les riverains car les activités qui posent problèmes restent minoritaires et sont aujourd’hui prises en compte par le gestionnaire », assure-t-il à Reporterre, qui l’a rencontré durant le congrès du Groupement des professionnels des sports mécaniques (GPSM) à Paris le 28 novembre.

Un million d’euros pour une butte

Cet évènement, qui s’est tenu dans les salons feutrés du stade Paris La Défense Arena, rassemblait circuits et constructeurs pour échanger sur les dernières nouveautés. Les participants que nous avons interrogés étaient réticents à commenter la proposition de loi, sauf Nathalie Reitzer, directrice des ressources humaines et développement durable du circuit Paul Ricard, entre Marseille et Toulon.

Elle nous a dressé une longue liste des engagements pris par son entreprise pour la tranquillité des riverains, comme une butte de 800 mètres construite pour 1 million d’euros afin de limiter les émissions sonores. « C’est ancré profondément dans notre fonctionnement d’être en harmonie avec nos voisins », assure Nathalie Reitzer.

Elle est également membre de la commission environnement et tranquillité du GPSM qui a publié un guide de cinquante actions afin de mieux protéger les riverains. « On veut donner des bonnes pratiques et construire des bonnes relations en allant au-delà de la loi », poursuit Nathalie Reitzer.

Malgré tous ses efforts, elle estime que l’étau juridique se resserre autour de son activité : « Connaissez-vous un autre secteur qui a, par décision administrative, une réduction de ses possibilités d’exploitation ? On est sous le feu des projecteurs car nous sommes un sport mécanique. Nous avons une épée de Damoclès sur la tête. »

Le chiffre d’affaires et les emplois

« Épée de Damoclès », c’est également l’expression utilisée par Nathalie Delattre, la sénatrice à l’origine de la proposition de loi. Malgré nos nombreuses relances, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Pour comprendre ses motivations, il faut écouter son discours prononcé au Sénat lors de l’adoption de la loi le 23 novembre dernier.

L’élue y insiste sur le poids financier de la filière des sports automobiles qui représente 2,3 milliards d’euros annuels de chiffre d’affaires et 13 500 emplois directs. « Autour de chaque site, c’est tout un écosystème générant des emplois directs et indirects, un ferment de la cohésion sociale et d’animation des territoires tant ruraux qu’urbains », disait la sénatrice de la Gironde.

« Il y a urgence à faire moins de bruit »

Face à ce chiffre, les opposants rappellent le coût social du bruit en France évalué à 147,1 milliards d’euros par an selon l’Ademe (Agence de la transition écologique) et le Conseil national du bruit. La pollution sonore constitue la deuxième cause de morbidité, derrière la pollution atmosphérique, parmi les facteurs de risques environnementaux en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé.

« Cela n’affecte pas que la santé humaine. Toutes les branches du vivant et de la biodiversité subissent des perturbations comportementales en raison du bruit intense. Dans un contexte global déjà délétère pour la faune, il y a urgence à faire moins de bruit », a déclaré Jacques Fernique, sénateur écolo du Bas-Rhin, durant cette séance au Sénat.

Autre argument mis en avant par Mme Delattre, l’innovation technologique. « La filière des sports mécaniques est propice aux innovations technologiques et techniques en matière environnementale », assure-t-elle, citant comme exemple le développement des moteurs électriques ou des agrocarburants.

Un argument qui, là encore, ne convainc pas les opposants. « Le développement de nouvelles technologies peut se faire désormais de manière essentiellement virtuelle. Par exemple, il n’y a plus besoin d’essais nucléaires pour réaliser des progrès dans ce domaine », remarque Jean-Paul Verguet.

36 000 tonnes de CO₂ pour les 24h du Mans

Pour défendre les circuits, la ministre des Sports, Amélie Oudéa Castéra, est venue au Sénat chanter les louanges de la filière. « Les sports automobiles sont devenus une passion française, avec 160 000 licenciés qui font vivre et rayonner ces évènements », a déclaré la ministre le 23 novembre.

Une passion qui coûte cher en carbone. Prenons l’exemple de la célèbre compétition des 24h du Mans. En 2019, son bilan carbone était estimé à 36 000 tonnes de CO. « Pendant longtemps, lorsque la voiture était un symbole de progrès, ces grandes compétitions pouvaient contribuer à la notoriété des pays qui les organisaient. Mais aujourd’hui ces activités, fortes consommatrices de matières premières et d’énergie fossile, sont de nature à rencontrer la désapprobation d’un grand nombre de personnes » , écrit l’association antibruit de voisinage.

« Cette culture doit se remettre en question »

« Notre but n’est pas de fermer le circuit mais qu’il fasse moins de bruit. Car ils ouvrent souvent la piste à des voitures avec un pot échappement bruyant et des gens qui aiment ce vacarme », dit Gérard Hernandez, le riverain qui se bat contre les nuisances du circuit d’Albi. Les passionnés des bolides peuvent-ils prendre du plaisir sans ces vrombissements ? Pas si sûr… Dans une interview au journal Auto Hebdo, le créateur du circuit Paul Ricard a déclaré que « la moitié de l’intérêt de ce sport vient du bruit du moteur ». « Le bruit fait partie d’une certaine vibration et d’un certain plaisir pour le spectateur mais dans la limite du raisonnable », renchérit Nathalie Reitzer du circuit Paul Ricard.

Un argument qui n’a pas convaincu le sénateur Jacques Fernique : « Cela nous fait comprendre combien ces engins motorisés doivent se transformer à l’heure où ils sont engagés dans une transition inéluctable vers l’électrique. Cette culture doit se remettre en question et évoluer. »

Une évolution qui reste encore loin des préoccupations des spectateurs. La seconde édition du GP Explorer, un grand prix de Formule 4 où concourent des influenceurs, a réuni plus de 4 millions de spectateurs. Les 60 000 places pour assister à l’évènement ont été vendues en trente minutes à des fans loin, bien loin de toute considération écologique.

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