Événement populaire autant que sportif, les 24 Heures du Mans ont une saveur inimitable. L’édition 2024 a maintenu un suspense haletant : la Ferrari 499P n°50 qui s’est imposée a été talonnée jusqu’au bout par la Toyota GR010 n°7. A une heure de la fin, il était tout aussi possible qu’une Porsche ou une Cadillac puisse franchir la ligne d’arrivée en tête. Outre la difficulté de la course de nuit, les averses intermittentes ont ajouté à l’incertitude. Mais si les yeux sont généralement tournés vers les hypercars, cette épreuve mythique a pour particularité de faire cohabiter ces prototypes, extrêmement rapides, avec des GT, dérivées de voitures de série, au rythme beaucoup plus lent.
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C’est dans cette cour que joue l’écurie allemande Proton Competition, qui assure l’engagement de la Mustang GT3 au Mans avec le soutien technique de Ford. Elle nous a accueillis dans ses coulisses pour nous permettre de vivre la course de l’intérieur.
Trois pilotes par voiture, dont un amateur
Une course telle que les 24 Heures du Mans réclame une logistique autre qu’un grand prix de Formule 1. Entre les essais qualificatifs et la course, c’est pendant une semaine complète que les écuries sont mobilisées. Trois pilotes se partagent le volant de chaque voiture. En catégorie GT3, l’équipe comporte obligatoirement un pilote amateur… et c’est celui-ci, nécessairement le moins expérimenté, qui doit assurer la qualification de la voiture.
Pilote de la Mustang n°77 qui a signé la meilleure qualification des voitures de l'écurie Proton Competition, Ben Barker vivait ses premières 24 Heures du Mans au sein d'une écurie affiliée à une grande marque. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
« La catégorie GT3 change beaucoup de choses par rapport à la catégorie GTE qu’elle remplace », nous assure Ben Barker, pilote de la Mustang n°77, qui a accroché le meilleur chrono aux essais parmi les trois Ford engagées. « Le pilotage est à un niveau inférieur. Les voitures sont moins rapides et nous avons l’ABS (système anti-blocage des roues, ndlr), ce qui n’était pas le cas auparavant. » Le natif de Cambridge vit pourtant une expérience totalement nouvelle. « C’est ma première année de contrat avec une grande marque, la dimension logistique et l’organisation n’ont pas grand-chose à voir avec celles des écuries privées (celles-ci achètent la voiture au constructeur, et gèrent l’exploitation en course de manière totalement indépendante, ndlr). C’est fantastique ! »
La Ford Mustang GT3 s’est révélée fiable dès sa première participation
Malgré l’effervescence de la course, la sérénité règne dans le stand Proton Racing. Très fiable, la Mustang n’a pas rencontré de souci technique majeur. Les trois autos engagées ont tourné comme des horloges. Malgré la pluie, les incidents de course ont été peu nombreux, enlevant une épine du pied aux mécaniciens. Par contre les intempéries ont fait sortir la voiture de sécurité plus que de raison. Cette voiture qui ouvre la piste impose un rythme ralenti au peloton, pour limiter tout risque. C’est le cas lorsqu’un accident nécessite d’évacuer une voiture, de nettoyer les graviers sur la piste ou encore de réparer un rail de sécurité. L’organisation des 24 Heures du Mans a pour réputation de jouer la prudence à l’excès, en laissant la course neutralisée de longues minutes voire de longues heures, ce qui ne ravit ni les spectateurs… Ni les pilotes !
Trois Mustang GT3 au départ, trois à l'arrivée. Pour sa première participation aux 24 Heures du Mans, la Mustang a fait preuve de sa fiabilité. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
« C’est réellement frustrant, lorsqu’on conduit une voiture de course à hautes performances, de devoir rouler à un rythme lent, explique Ben Barkley. La Mustang le supporte sans problème, il n’y a pas de problème de surchauffe. Mais cela casse le rythme de pilotage, et on perd sa concentration. Cette nuit, j’ai roulé pendant une heure et demie sous le régime de voiture de sécurité. C’était une expérience horrible ! »
Une organisation industrielle !
Par ricochet, les faits de course peuvent avoir des conséquences inattendues. Une perte de concentration, la fatigue des pilotes au petit matin, une piste rendue glissante par le crachin ou de l’huile laissée par une voiture… Voilà autant de facteurs qui peuvent conduire à une sortie de route qui viendrait ruiner tous les espoirs de l’équipe. Voilà pourquoi des équipes de préparateurs physiques se chargent de remettre en forme les pilotes après chaque relais. Passage obligatoire chez le kiné à la sortie de la voiture. Côté paddock, un buffet permet à l’équipe de se restaurer.
Au sein du stand, chaque mécanicien a un rôle précis, pour ne pas perdre de précieuses secondes lors des ravitaillements. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
Que ce soit pour les pilotes ou la voiture, rien n’est laissé au hasard. Les arrêts au stand sont un ballet millimétré. Deux minutes avant l’arrivée de la voiture à son stand, les mécaniciens se lèvent. Chacun a son rôle attribué, selon une séquence bien rodée. Changement de pneus voire de pilote, ravitaillement… aucune seconde n’est perdue dans cet enchaînement de tâches. Une course peut se perdre ou se gagner lors de ces interventions.
C'est une véritable usine ambulante que Goodyear apporte sur les 24 Heures du Mans, avec la gestion des pneus de 39 voitures. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
Côté pneus, les équipes de Goodyear disposent d’une solide compétence logistique. Un immense complexe, à quelques pas du paddock, fait office de véritable usine itinérante. Les montagnes de pneus sont organisées par catégorie de voiture et par type (slicks ou pluie). L’organisation se doit d’être quasi militaire pour assurer l’assistance de pas moins de 39 voitures (Michelin ayant en charge le reste du plateau). En GT3, un type unique de gommes est imposé par le règlement à toutes les écuries. « Il est difficile de contenter tout le monde. Chaque constructeur aimerait avoir des gommes sur-mesure, adaptées aux spécificités de son châssis », nous avoue-t-on chez Goodyear.
Des voitures de série assez profondément modifiées
Pour Ford, le règlement mis en place cette année a permis de célébrer les 60 ans de son modèle le plus mythique, la Mustang. Le lancement commercial d’une nouvelle génération de la « pony car » se double d’un engagement en compétition sur tous les circuits du monde. En effet, la réglementation GT3 est internationale. Ford applique la célèbre maxime bien connue dans le sport automobile : « Gagner le dimanche pour vendre le lundi ». Le règlement de la catégorie GT3 a pour but de laisser les engagements ouverts au plus grand nombre de voitures possibles, tout en resserrant l’écart de performances entre les différents modèles.
« La problématique est complexe », nous explique Larry Holt, directeur de Multimatic qui a présidé à la conception de la Mustang GT3. « Nous sommes partis d’une voiture de grande série (la Mustang Dark Horse bientôt à l’essai dans nos colonnes, ndlr) dont le tarif débute à un peu plus de 60 000 dollars. D’autres prennent pour base une supercar à châssis en carbone, à 300 000 dollars. Les technologies et performances de ces modèles de série n’ont donc absolument rien à voir. Évidemment, le règlement laisse des libertés pour que chacun puisse suivre sa voie. » A cela s’ajoute la Balance Of Performance (BOP), un système de lest et de brides d’admission décidé par l’organisateur pour faire rentrer dans le rang les modèles les autos les plus rapides.
L'ingénieur canadien Larry Holt, directeur de Multimatic, a assuré la conception de la Mustang GT3. Auparavant, il avait signé la Ford GT, un modèle dessiné à partir d'une feuille blanche, pour la course. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
La Mustang GT3 apparaît finalement très différente d’une Mustang Dark Horse de série. « Nous sommes obligés de conserver la cellule centrale quasiment à l’identique. Mais les différences structurelles sont nombreuses, reprend Larry Holt. Comme cette voiture est destinée à des écuries privées, il fallait qu’elle puisse être réparée facilement après un crash. Voilà pourquoi on a des structures séparées à l’avant et à l’arrière, qui peuvent être remplacées. Cela évite de devoir mettre la voiture à la casse après une sortie de route. »
Comment la Mustang est devenue une supercar
Le moteur a été changé de place, et Larry Holt nous liste quelques-unes des spécificités de la Mustang engagée aux 24 Heures du Mans. « Nous conservons la base du V8 » Coyote « de la Mustang de série, mais celui-ci a été reculé pour centrer les masses. Lorsqu’on ouvre le capot de la Mustang GT3, on ne voit que six des huit cylindres : le moteur est presque dans l’habitacle, ce qui a nécessité de modifier le tablier. C’est autorisé par la réglementation, dans une certaine proportion. Désormais, la boîte de vitesses est placée à l’arrière. Nous utilisons une transmission X-Trac, également choisie par la plupart de nos concurrents. L’arbre de transmission est en fibre de carbone, tout comme la carrosserie. »
Une Ford Mustang GT3 repart sur le Circuit de la Sarthe après un arrêt au stand. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
Malgré son look proche de la Mustang vendue en concessions, la version GT3 est une véritable voiture de course… Au tarif environ dix fois plus élevé que le modèle dont elle dérive ! Le développement a donc été suffisamment poussé pour permettre à la sportive américaine de se classer troisième de sa catégorie à l’issue de l’édition 2024 des 24 Heures du Mans, derrière une Porsche 911 et une BMW M4.
Commercialisée dans quelques mois, la Ford Mustang GTD s'apparente à une Mustang GT3 homologuée pour la route. Crédit: Nicolas Meunier/Challenges
Après avoir profondément modifié la Mustang de série pour la rendre compétitive, Ford s’apprête maintenant à réaliser le chemin inverse. « Lorsque le PDG de Ford Jim Farley a vu la Mustang GT3, il a voulu que nous en réalisions une version homologuée pour la route », révèle Larry Holt. Ce projet très spécial a donné naissance à la Mustang GTD, un monstre de 800 ch, vendu plus de 360 000 euros. Ainsi, Ford pourra rivaliser avec Ferrari et McLaren sur la piste comme sur la route.
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