
Après la pagaille inouïe du nouveau système de délivrance des cartes grises, le prochain passage aux 80 km/h sur les routes dites secondaires, les radars cachés dans des voitures privées et l'alourdissement de la fiscalité sur les carburants , une nouvelle mauvaise surprise attend les automobilistes au tournant : à compter du 20 mai, le contrôle technique des voitures sera plus sévère, plus long et plus cher.
Contrairement aux options précédentes, on ne pourra ici pas jeter la pierre au gouvernement, puisqu'il s'agit de la transposition, tardive, d'une directive européenne d'avril 2014, au nom de l'amélioration de la sécurité routière. « Nous sommes même le dernier pays à appliquer cette nouvelle grille de tests. Le fait d'avoir attendu quatre ans est un choix français », selon Karine Bonnet, directrice générale adjointe marketing et ventes de Dekra Automotive (enseignes Dekra, Norisko et Autocontrol).
Rush par anticipation
Tétanisés par ce durcissement, des précautionneux ont pris d'assaut avant la date couperet les 6.300 centres de contrôle agréés, pour échapper à des réparations inattendues. Résultat : +61 % de contrôles réalisés en avril dernier par rapport à avril 2017 . « C'est la deuxième fois seulement qu'un tel rush se produit : la première fois, c'était en 1996, quand on avait accéléré la périodicité des contrôles (obligatoires tous les deux ans et non plus tous les trois ans) », selon Bernard Bourrier, président de la branche contrôle technique au sein du CNPA (Conseil national des professions de l'automobile) et du réseau spécialisé Autovision.
Au-delà de ce rush momentané, la grande majorité des automobilistes prendra conscience de l'ampleur du changement au fil de l'eau, en fonction des dates imparties sur leur pare-brise. Au total, 25,4 millions de contrôles sont réalisés annuellement en France, en incluant les utilitaires.
606 points de contrôle
Principal changement, dès la semaine prochaine : jusqu'ici, chaque véhicule de plus de quatre ans était contrôlé à l'aune d'une liste de 123 points divers, dont 72 étaient soumis à une contre-visite, à effectuer après réparation dans un délai maximal de deux mois. Désormais, la nomenclature des défauts potentiels sur un seul véhicule s'allonge à 606 points divers, dont 340 donnant lieu à contre-visite, toujours sous deux mois. S'ajoutent surtout 127 autres défaillances plus sévères, dites « critiques », qui obligent à conduire la voiture au garage... le jour même, pour réparation. Disposition totalement inadaptée pour qui connaît le système de prise de rendez-vous chez les professionnels de la réparation...
Dans sa nouvelle check-list, Bruxelles n'a pas hésité à faire dans la dentelle : seront notamment passés au crible l'éclairage de l'indicateur de vitesse, les fixations du câblage électrique, les charnières des portes, les voyants s'allumant sans raison au tableau de bord, très fréquents avec les bugs de l'électronique. Pas moins de quatre aspects différents seront désormais scrutés sur les seules ceintures de sécurité, tandis que le système d'antiblocage des roues (ABS) passe de une à six défaillances potentielles !
Ce tour de vis lors de la révision bisannuelle risque donc de condamner énormément de véhicules qui circulent encore, malgré les caprices de l'électronique. « Ma Nissan cote à peu près 1.000 euros, et j'ai un voyant de freinage allumé, plus un avertissement de problème ABS. Pour mon garagiste, c'est le calculateur qui est fichu (environ 3.000 euros à changer), soit trois fois le prix de la voiture : je ne vois pas ce que je peux faire », résume cet automobiliste.
Inflation des prestations
Sur ce sujet, où il n'y a que des coups à prendre sur le plan politique, le ministère de tutelle (de la Transition écologique et solidaire) aurait choisi d'en dire le moins possible, avance l'un de ses interlocuteurs. Tout juste embraye-t-il via son site sur l'argumentaire du CNPA, sur le thème : « De nombreux véhicules ne présentent aujourd'hui aucun défaut. »
Moins lénifiants, nombre de professionnels anticipent, eux, bien des grincements de dents chez les clients. Du fait de l'examen plus poussé, « la durée de chaque test devrait augmenter de 15 à 20 %, avant l'explication du rapport détaillé, qui sera elle aussi rallongée », confirme Laurent Palmier, président de Sécuritest, une des deux enseignes du géant suisse SGS. D'où une hausse équivalente du tarif de la prestation. Chaque centre est libre de fixer ses prix, qui varient en fonction de la motorisation examinée et de la concurrence locale ; l'addition tournait jusqu'à présent autour de 65 euros.
Surtout, n'en déplaise là encore au CNPA, la proportion de contre-visites devrait mécaniquement grimper en flèche, puisque les tolérances diminuent. Alors que, l'an dernier, 18,9 % des véhicules avaient déjà été recalés au premier contrôle, « ce taux pourrait dépasser 40 % », prédit Laurent Palmier, qui parle d'expérience : « Nous avons fait un test en tandem pendant un mois dans l'un de nos centres au Mans, en appliquant les anciennes et les nouvelles règles. Sur plus de 200 autos, nous avons atteint cette proportion. »
Moins alarmiste, Dekra France s'attend plutôt à une moyenne de 25 % de contre-visites. Comme cette piqûre de rappel sera elle aussi plus longue, tous les centres devraient désormais la facturer, soit 25 à 30 euros supplémentaires, alors que la moitié d'entre eux l'offraient jusqu'ici. Pour nombre d'automobilistes, la barre des 100 euros sera donc allègrement franchie, sans compter le coût des réparations. Quant aux « défaillances critiques », de 3 à 4 % environ des voitures devraient être frappées de l'interdiction de rouler, d'après la profession.
Un conducteur sur trois n'est pas à jour
D'ordinaire prompt à batailler contre les nouvelles entraves imposées aux conducteurs, Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes, reste zen : « Les défauts critiques s'appliqueront à des choses vraiment majeures pour la sécurité, comme un pare-brise fendu en plein champ de vision du conducteur. Globalement, le nouveau contrôle technique ne me pose pas de problème... à part son coût, majoré de 10 à 20 %. »
Vertueux sur le papier, le nouveau système pourrait cependant engendrer un effet pervers : faire bondir le taux de réfractaires. Un vrai sujet dans un pays où rouler sans permis et sans assurance est déjà devenu un sport national. D'ores et déjà, un tiers des automobilistes n'étaient pas à jour de contrôle technique, ancienne version, selon un sondage de BVA ! Plus ou moins volontaire, cet oubli peut être de deux semaines... ou de plus d'un an, malgré l'amende potentielle de 135 euros. Qu'en sera-t-il avec les nouvelles règles ? « C'est un peu notre crainte. Avec le durcissement, il est vraisemblable que davantage de gens se disent : 'Tant que ma voiture roule, je roule', prédit Laurent Palmier, de Sécuritest. On vérifiera ça à la rentrée, en analysant les fichiers. »
Impact limité sur la sécurité routière
Plus fondamental : le lien entre cette réforme et la sécurité routière paraît bien mince lorsque l'on y regarde de près. Selon les statistiques officielles, les causes des accidents mortels en France sont bien connues, et varient assez peu d'une année à l'autre : la vitesse excessive (31 % en 2016), une surconsommation d'alcool (19 %), un refus de priorité (13 %), le cannabis (9 %), consommé par 700.000 personnes de manière quotidienne, ou encore l'inattention (8 %), qui bondit avec la plaie du portable au volant. Dans cette même liste, le critère « facteurs liés au véhicule » n'arrive qu'en 14e position, avec... 1 % des causes.
De plus, sur un total de 3.456 victimes de la route en 2017, une moitié seulement (51 %) étaient conducteurs ou passagers d'une voiture. Sauf à prouver que les autres (les 1.446 piétons ou usagers de deux-roues) ont perdu la vie à cause d'un défaut de feu stop d'une automobile, d'un suintement d'un cylindre de frein ou d'un lève-vitre récalcitrant, on comprend mal l'impérieux besoin de durcir le contrôle technique. Dans un récent rapport sur la sécurité routière, l'association allemande Dekra ne dit pas autre chose : « A l'échelle européenne, près de 90 % des accidents sont dus à des erreurs humaines. »
Proche de l'asymptote
Quant à l'état technique du véhicule, l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr), dans son dernier rapport très détaillé épais de 183 pages, expédie ce sujet en quatre petites lignes : « En 2016, 110 personnes tuées et 739 blessés hospitalisés l'ont été dans un accident dans lequel un véhicule présentait une défaillance technique visible (pneumatiques, éclairage, défectuosité mécanique). » Un faible niveau, en tout cas, comparé aux très nombreux défauts comportementaux au volant.
C'est précisément la contribution du contrôle technique « ancienne version », instauré depuis un quart de siècle. Avec son rôle préventif et des contrôleurs désintéressés financièrement car coupés du monde de la réparation, il a donné de vrais résultats sur le long terme, en assainissant le parc de ses vieilles guimbardes. « Il n'y a pas de données objectives pour dire que le contrôle technique sauve tant de vies. Mais une chose est certaine, la courbe d'entretien du véhicule a considérablement augmenté », résume Bernard Bourrier. En matière de sécurité, on commence donc à approcher de l'asymptote, d'autant que les voitures roulent de moins en moins entre deux contrôles.
Pénurie de candidats
En termes d'embauches, en tout cas, la réforme ne donnera pas grand-chose, malgré l'allongement du temps des contrôles. D'une part, parce que, dans sept cas sur dix, ces centres, qui emploient au total 12.600 salariés, sont « monocontrôleurs », avec un homme à tout faire : prise de rendez-vous, contrôle des véhicules, comptabilité... Et l'agrément préfectoral leur interdit l'intérim ou le temps partiel. Passer de un à deux employés représente donc pour eux une marche dissuasive.
D'autre part, parce que la tutelle ministérielle a imposé que les nouveaux embauchés aient en poche au moins un bac pro mécanique auto, au lieu d'un BEP, CAP ou cinq ans d'expérience comme c'était le cas auparavant. Alors que la filière souffre déjà d'une pénurie de candidats, mal répartis sur le territoire, l'exercice s'annonce compliqué. « Vanter les mérites du métier va être un vrai challenge. On aura des problèmes pour embaucher, et on le sait déjà », commente le dirigeant d'un réseau.
Bientôt une nouvelle usine à gaz
Quant aux automobilistes, ils ne sont pas au bout de leurs surprises. A partir de janvier 2019, les contrôles antipollution des moteurs Diesel seront eux aussi sérieusement renforcés, en comparant l'opacité des fumées (taux de particules) avec les valeurs d'homologation affichées par les constructeurs.
Mais, surprise, seuls les moteurs récents Euro 5 ou Euro 6, vendus à partir de 2011 et 2015, passeront ce nouveau test, synonyme là encore de possible contre-visite. Les autres, théoriquement plus polluants, en étant exemptés ! Une usine à gaz comme l'administration en raffole. A moins de vouloir se perdre dans les méandres de la norme NFR 10-025/2016, mieux vaut donc garder sa vieille auto.
https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0301684006868-le-grand-tour-de-vis-du-controle-technique-2176404.phpBagikan Berita Ini
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