Parce qu’elles seront électriques, les voitures de demain ne ressembleront pas à celles d’aujourd’hui. Si la première génération de véhicules zéro émission s’est modérément – voire pas du tout – distinguée par ses choix esthétiques, celle qui émerge va davantage exploiter les marges de créativité qu’offre l’électrification. Plusieurs concept-cars qui auraient dû être dévoilés au salon de Genève, prévu du 5 au 15 mars mais finalement annulé à cause de l’épidémie due au coronavirus, ouvrent une fenêtre sur l’avenir de ce design électrique en devenir. Une bouffée d’air frais tant le langage formel de l’automobile, paralysé par l’uniformisation imposée par la toute-puissance de la marque et la prééminence du SUV, semble dans l’impasse.
A moins qu’elle se destine à un usage exclusivement urbain – comme la nouvelle Citroën Ami qui, toute en verticalité, mériterait le surnom de « pot de yaourt » naguère attribué à l’Isetta de BMW –, une voiture électrique doit soigner son aérodynamique plus encore qu’un modèle conventionnel. « Sur la route, la résistance à l’air détermine largement l’autonomie d’un tel véhicule. Or, c’est là que réside l’enjeu central. Il n’y a pas de discussion sur ce point », souligne Ian Cartabiano, qui dirige le centre de design européen de Toyota et Lexus dont est issu le très anguleux et musclé concept LF-30 qui devait être présenté à Genève. Comme ce dernier, d’autres concepts-cars qui devaient apparaître lors de ce salon, notamment signés Polestar (émanation de Volvo), Hyundai, BMW ou Renault s’efforcent de trouver une alternative à la haute stature des actuels modèles à succès.
L’impératif aérodynamique qui incite à dessiner des voitures basses et élancées se trouve cependant confronté à une autre obligation ; celle qui impose de surélever les carrosseries pour loger les batteries sous le plancher. « Je prends ces contraintes comme une opportunité. En mettant à profit les caractéristiques (moteur peu encombrant, plancher plat, meilleure habitabilité…) propres à un modèle électrique, il va devenir possible d’exploiter de très nombreuses possibilités pour avancer, entre autres, sur la piste du post-SUV », assure Pierre Leclercq qui dirige désormais le design Citroën.
« Il ne suffit pas d’obtenir une faible résistance à l’air, il faut aussi que la voiture l’exprime à travers un aérodynamisme perçu comme on parle de qualité perçue », insiste François Leboine, responsable des concept-cars chez Renault. Pour Genève, la marque avait conçu Morphoz, prototype à géométrie variable porteur d’éléments stylistiques dont certains seront adoptés à bord de ses prochains modèles zéro émission. Morphoz soigne particulièrement ses surfaces affleurantes, incline au maximum son pare-brise et se dote de petits « flaps » (volets) latéraux. Autant de clins d’œil à l’univers aéronautique.
Rassurer les futurs acheteurs
La voiture électrique, estime François Leboine, doit être porteuse « de choix durables, empreints de sobriété qui doivent s’exprimer à travers des lignes propres, précises et simples ». Des partis pris, admet-il, qui ne s’accordent pas spontanément avec l’appétence d’une partie des acheteurs pour les signes extérieurs de statut social, tels les faces avant surdessinées, les chromes ou les vitres surteintées. Même approche pour le projet Prophecy de Hyundai, préfiguration d’un modèle attendu dans environ deux ans, qui entend « s’affranchir de la complexité au profit de lignes épurées et de structures minimalistes ». La marque coréenne qui revendique un « futurisme optimiste » entend « forger un lien émotionnel » visiblement distendu entre l’homme et l’automobile.
La Fée électricité bouscule aussi quelques références symboliques. A bord de Morphoz, la longueur du capot, variable selon la masse des batteries embarquées, désigne non plus la puissance mécanique mais l’autonomie. Anticipation d’un véhicule des années 2030, la Lexus LF-30 présente un pare-brise très plongeant mais un capot court. Sa puissance de 400 kW (543 ch) s’exprime via de grandes roues dans lesquelles sont logés les moteurs à aimants.
Avec l’avènement du véhicule électrique, le principe consistant à concevoir des voitures « de l’intérieur vers l’extérieur » hérité des années monospace retrouve de la substance. Le vaste écran semi-circulaire qui se déploie, à l’arrêt, dans l’habitacle de la Hyundai Prophecy afin de divertir les occupants pendant que les batteries se rechargent a imposé une ceinture de caisse basse. Donc, une surface vitrée revue à la hausse, à rebours de la tendance constatée ces dernières années. Pour modifier en profondeur l’ordonnancement intérieur des modèles électriques, il faudra cependant attendre de disposer des prochaines générations de batteries, nettement moins encombrantes.
Le passage à l’électrique étant facteur d’appréhension et de stress, les designers admettent qu’il leur faut aussi rassurer les futurs acheteurs, pas forcément disposés à se projeter du jour au lendemain dans un univers inconnu. C’est dans cette perspective qu’il faut envisager la persistance de calandres virtuelles, de capots inutilement longs ou de flancs sculptés de manière exagérément musculeuse « pour faire costaud » à bord des voitures électriques commercialisées dans les prochains mois. « Pour avancer, il faut jouer avec les codes, ceux de la voiture d’aujourd’hui comme ceux de la voiture de demain », résume François Leboine avec un mélange de frustration et d’excitation.
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