Entre startups californiennes et fabricants de smartphones chinois, le marché de la voiture électrique n’appartient plus vraiment aux acteurs historiques du secteur.
L’émergence de l’électrification dans le secteur automobile est en train de créer une rupture profonde, non seulement dans les usages et les comportements des utilisateurs, mais aussi et surtout dans le paysage des constructeurs. Même si l’américain Tesla reste pour l’instant maître du jeu, l’épicentre de cette industrie colossale, jusque-là essentiellement situé entre l’Europe et les États-Unis, est en train de se déplacer lentement mais sûrement vers l’Asie, et plus particulièrement, la Chine.
L’Empire du Milieu, avec sa force de frappe et sa culture industrielle, ne fait pas les choses à moitié, et les marques automobiles électriques – pour la plupart totalement inconnues par ici – se comptent par dizaines sur place. Ce qui laisse entrevoir une déferlante à venir qui pourrait faire très mal à nos historiques constructeurs, et même à Tesla lui-même. Les Nio, Xpeng, MG et autres, pour ne citer que les plus « connues », affutent déjà leurs armes de conquête massive, et ce n’est que le début.
Mais, au-delà de ce constat qui rappelle à sa façon la déferlante japonaise, puis coréenne, des années 80/90 jusqu’à aujourd’hui, il serait un peu naïf ou simpliste d’imaginer que l’enjeu se joue exclusivement sur le terrain industriel. Et que les chinois sont le seul danger, ou la seule opportunité, selon que l’on se place du côté des constructeurs ou du client.
Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, et c’est un peu notre credo ici, la voiture électrique n’est pas qu’une affaire de boulons et de batteries, c’est aussi une petite révolution culturelle qui en épouse d’autres, ou en tout cas, qui essaie : moins polluer à l’usage, moins consommer, conduire de façon apaisée, faire baisser la pollution sonore… Bref, même si ce n’est pas parfait, s’inscrire dans un mouvement « vertueux » qui nous ferait sortir de la civilisation du tout automobile, tout en préservant la liberté de se déplacer à son gré, et de façon individuelle.
La Chine et la Californie, les deux « pays » leaders de l’électrique
Mais si la voiture électrique n’est pas qu’une affaire de boulons et de batteries, c’est peut-être encore plus vrai dans la façon dont se redéfinit justement la carte des constructeurs. Pour la Chine c’est entendu, mais nous aurions tort de penser que ce nouveau paradigme se limite à un déplacement géographique de la production.
Tesla a prouvé que l’on pouvait partir de rien en 2003 et devenir l’entreprise automobile la plus fortement valorisée moins de 20 ans plus tard. Certes, ce succès est exceptionnel et ne se reproduira peut-être jamais à cette échelle. Mais il dit quelque chose : il est possible de devenir un constructeur automobile qui compte, qui est respecté, et qui accessoirement fait trembler tout le secteur, sans pour autant être du sérail.
On le dit souvent, Tesla n’est pas un constructeur automobile, en tout cas au sens classique du terme. D’ailleurs, si vous allez sur le site de la marque, amusez-vous à regarder ce qui est écrit dans la balise « Titre » de la page d’accueil : « Voitures électriques, énergie solaire et propre ». Ce à quoi l’on pourrait ajouter sans dévoyer la marque : « Stations de recharge, intelligence artificielle et algorithmes ». On dit souvent sous forme de boutade que Tesla ne fabrique pas des voitures mais des tablettes/ordinateurs à 4 roues. Et que par conséquent c’est avant tout, ou autant, une firme d’informatique très avancée qu’un industriel de l’automobile. Une prouesse qui se vérifie aussi auprès de la clientèle, puisque la marque réalise l’exploit de vendre des voitures à plus de 40000 euros à des geeks trentenaires ou jeunes quadra qui jusque-là ne s’intéressaient pas du tout à l’automobile, et qui sont devenus parmi les meilleurs ambassadeur de la marque.
Mais l’histoire ne s’arrête pas à Tesla, ni à la Chine, donc. Il se pourrait même que les futures stars du secteur ne soient pas des constructeurs automobiles, voire même, pas chinois, ou pas que. C’est l’éternelle histoire des petites startups agiles, audacieuses et créatives contre les géants du secteur. Ou des entreprises déjà bien établies qui se diversifient dans un secteur prometteur car les barrières à l’entrée sont beaucoup moins sélectives puisqu’il parait établi que les obstacles auxquels se heurtent ces nouvelles entreprises automobiles sont plus faibles qu’ils ne l’ont été depuis des décennies. Les voitures électriques sont plus faciles à concevoir et à construire que les voitures à moteur à combustion interne, car – entre autres – elles comportent moins de pièces mobiles.
C’est ainsi que de nouvelles marques font leur apparition. Si nombre d’entre elles sont effectivement chinoises, elles ne sont pas les seules. Petite revue de détail d’acteurs qui pourraient peser lourd sur le marché dans la décennie à venir.
De nouveaux acteurs pour un nouveau marché
Côté occident, c’est encore vers les US qu’il faut pointer son regard, et même vers la Californie. Lucid en est l’incarnation la plus concrète à ce jour puisque la marque vient de livrer ses premiers modèles à ses premiers clients, avec un cérémonial qui indique clairement que le service et l’ambiance « premium » seront bien la signature du constructeur. Avec des versions de la Lucid Air allant en gros de 75 000 à 135 000 euros, c’est un minimum. Rappelons que cette « startup » qui n’en est plus vraiment une possède déjà son usine, pardon, sa gigafactory en Arizona (tiens tiens) et qu’elle s’est forgée une grosse expérience en compétition avec la Formule E. Probablement la meilleure des écoles pour apprendre vite, notamment sur la gestion des batteries et de l’autonomie.
Juste derrière, le projet le plus solide, avec une mise en production et des livraisons imminentes, est celui de Rivian, qui se spécialise dans des gros SUV haut de gamme et eux aussi bourrés de technologie. Avec le soutien de sociétés comme Amazon et Ford, Rivian dispose de l’un des financements les plus solides de toutes les start-up de voitures électriques. Rivian accepte déjà des dépôts d’acompte de 1 000 dollars sur les pick-up et les 4×4 électriques qu’elle prévoit de commencer à livrer à partir d’une usine située à Normal, dans l’Illinois, avant la fin de l’année. Noter cependant que Rivian et Ford viennent de mettre fin à leur partenariat, chacun se sentant assez costaud pour conquérir le marché avec ses propres moyens.
Autre challenger, Faraday Future. La société, basée à Los Angeles, mais de capitaux chinois, prévoit de commencer à vendre un véhicule de luxe d’ici la fin de l’année, dont le prix de vente dépassera largement les 100 000 dollars. Le véhicule sera équipé de nombreux écrans et de sièges arrière inclinables qui, selon la société, utilisent une technologie de la NASA pour répartir uniformément le poids des passagers. Le futur de Faraday n’est cependant pas totalement assuré, suite à des difficultés financières et des soupçons de spéculation sur le cours de ses actions.
Enfin, un autre californien refait parler de lui. Fisker a fait sensation au dernier salon de Los Angeles en dévoilant officiellement sa gamme complète de SUV Ocean, présentés sur ses terres natales dans leur version définitive, avec trois déclinaisons dont la plus huppée est dotée d’un toit à panneaux solaires.
Moins connue, une autre start-up californienne, Canoo, a déclaré qu’elle proposerait l’an prochain des véhicules électriques par abonnement. Les clients paieront un prix mensuel similaire à celui d’une location, mais sans engagement de durée. Cette stratégie permet de surmonter l’un des obstacles à la vente de voitures électriques : le prix, qui est généralement plus élevé que celui d’un véhicule à essence comparable. Canoo, dirigée par le responsable du développement de la BMW i3, a dévoilé un prototype décrit comme un « loft urbain sur roues ». Canoo prévoit de commencer à proposer des abonnements à Los Angeles en 2021 et d’étendre progressivement le service à d’autres grandes villes des États-Unis.
Lucid, Rivian, Faraday Future, Fisker, Canoo… Mis à part quelques artisans locaux, depuis quand n’aviez-vous pas connu la naissance de nouveaux noms dans le secteur automobile ? Alors certes, toutes les marques mentionnées ci-dessus proposent des véhicules haut de gamme ou SUV, lourds, encombrants et chers (sauf Canoo, peut-être). Bref, tout ce qu’on aime détester par ici. Mais il semblerait que, dans l’état actuel du marché, ce soit la seule façon de se faire une place au soleil quand on est on nouvel arrivant, avant d’élargir ses gammes vers le bas.
En Chine, on a déjà largement dépassé le stade des projets et des levées de fonds de startups, et nombre de marques proposent déjà d’alléchantes voitures électriques qui n’ont pas grand chose à envier aux ténors du secteur en termes d’efficience, de finition et d’équipements high-tech. Profitons-en pour tordre le cou au cliché désormais dépassé des chinois « qui copient et qui font du bas de gamme ». Lors de son récent essai, même si tout n’est pas parfait, Maxime a été séduit par le sympathique MG Marvel R, et d’autres suivront probablement.
Enfin, du côté des marques non-automobiles mais déjà solidement établies dans la high-tech et qui vont investir massivement dans la voiture électrique et produire leurs propres modèles, on citera le géant chinois Xiaomi, jusque-là surtout connu par ici pour ses smartphones, ses aspirateurs robots et ses trottinettes électriques. Et bien sûr, last but not least, Apple en personne, dont il se dit que la tant attendue Apple Car pourrait débarquer en 2025 (donc demain en fait). N’oublions pas cependant de mentionner Dyson, un autre « nouveau venu », leader dans son secteur, mais qui a renoncé à son projet dans l’automobile électrique, effrayé non pas par son côté novice dans le secteur, mais plus pragmatiquement par la concurrence déjà acharnée.
On le voit, le futur de l’automobile ne sera pas exclusivement réservé aux marques déjà établies. Il se peut d’ailleurs que certaines, dépassées par ce tsunami, disparaissent corps et bien, illustrant une fois de plus le « syndrome Kodak ». Car certaines startups et autres manufacturiers hors du monde automobile sont en embuscade.
Une révolution industrielle et culturelle qui mettra peut-être sur un pied d’égalité les marques historiques et leur savoir-faire industriel et marketing avec des entreprises agiles dont l’ADN est fondé sur la créativité, la maitrise de l’outil informatique et la gestion de la data.
Bref, le nouvel Henry Ford sera peut-être un geek, codeur ou designer, qui saura s’entourer des meilleurs concepteurs d’interfaces, des meilleurs ergonomes, des meilleurs data scientists, ayant une vision et un rapport totalement différent à l’automobile.
En fait, peut-être que le nouvel Henry Ford sera le nouveau Steve Jobs.
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