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Automobile : « Avec le software, Stellantis va créer de nouveaux business qui n'appartiendront pas aux GAFA » - La Tribune

LA TRIBUNE - Le groupe Stellantis vient de divulguer sa stratégie software. Cette brique technologique de logiciels a surgi récemment dans l'industrie automobile comme une petite révolution... Quels sont les grands enjeux que cette stratégie doit permettre de résoudre ?

YVES BONNEFONT - Historiquement, les cycles de développement de l'industrie automobile étaient essentiellement calés sur le développement du hardware (les matériels électroniques et informatiques ndlr). Sauf que ces cycles avancent à la vitesse d'une tortue par rapport aux cycles logiciels, et pénalisent l'innovation. On parle de cycle de trois mois dans le logiciel contre plus de trois ans dans le hardware. Le premier enjeu de cette stratégie est donc de déconnecter les cycles de développement entre le logiciel et le hardware. C'est un changement majeur dans notre façon de mener des projets de développement. Il y a un second enjeu, c'est notre capacité à exploiter la donnée de nos véhicules connectés de manière à créer de nouveaux business. Je vous rappelle que le plan Software de Stellantis vise à dégager 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2026, et 20 milliards en 2030, grâce à ces nouvelles activités.

Justement, comment comptez-vous monétiser des services de sorte à dégager un tel chiffre d'affaires ?

Nous avons identifié cinq sources de nouveaux business. Par exemple, la vente de contenus au moment de la vente de véhicules. Il peut s'agir de services liés à des abonnements de cartographie, des actions de commande à distance de la voiture. Nous voulons aller plus loin dans cette "économie de la souscription" en créant les conditions pour que les clients renouvellent leurs abonnements. Pour cela, nous devons sans cesse améliorer l'expérience de ces services, et les mettre à jour. Il y a également beaucoup d'opportunités autour de la voiture électrique qui a besoin d'être accompagnée par un univers de services qui touche à la recharge. Enfin, nous observons que les clients sont de plus en plus enclins à consommer des médias à bord des voitures. Aux Etats-Unis, nous vendons des services de radio par satellite sous forme d'abonnement. Mais le software doit nous permettre de créer une nouvelle valeur pour nos véhicules. On sera ainsi capables d'améliorer nos systèmes de gestion de l'énergie des batteries pour augmenter l'autonomie ou d'introduire de l'intelligence artificielle. Un autre point important sera le traitement de la data pour la gestion de flottes, la maintenance prédictive, des services annexes comme les assurances sur mesure, l'info trafic... Enfin, le software sera un fantastique outil pour fidéliser nos clients, mieux les connaître et leur apporter des services personnalisés.

A un moment où la voiture est de plus en plus chère et où elle sera amenée à l'être davantage avec la voiture électrique, les nouvelles normes... Les clients seront-ils en mesure de dépenser plus sur le poste automobile ?

Il y a des clients qui sont tout à fait demandeurs de services complémentaires parce qu'ils permettent d'améliorer leur expérience utilisateur. Sur le service de radio satellite et la navigation connectée, nous avons 440.000 clients dans le monde qui ont souscrit à ce service en dehors du parcours d'achat d'une voiture. C'est à nous d'inventer les services qui créent de la valeur pour eux.

N'est-ce pas un business qui va davantage intéresser les flottes ?

Le BtoB sera bien entendu un client naturel de nos nouveaux services. Ils vont permettre de baisser les coûts d'usage de leurs flottes. Mais les opportunités sont réelles aussi sur les clients particuliers à la recherche de praticité et d'économies sur leur coût d'utilisation.

Vous avez évoqué des opportunités dans les contenus. En face de vous, il y a les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui ont déjà mis un pied dedans avec des interfaces qui synchronisent la voiture et leur smartphone. N'ont-ils pas déjà préempté ce marché ?

Il y a des services qui restent exclusivement liés aux véhicules eux-mêmes et qui ne sont pas accessibles aux GAFA. Par exemple, nous croyons beaucoup au cockpit du futur et toutes les interactions possibles qui ne sont pas liées au smartphone. De même, nous sommes déjà capables de suivre le regard du conducteur et de détecter pour des questions de sécurité s'il regarde bien la route. Demain, cette expertise pourrait permettre de proposer des services sur des actions qu'un automobiliste déclencherait d'un simple regard. Il y a aussi la réalité augmentée affichée sur le pare-brise... Les exemples sont multiples et ils sont profondément ancrés dans l'univers exclusif du véhicule. Je rappelle qu'une marque automobile électrique qu'on cite souvent comme référence (Tesla, ndlr) ne propose ni Carplay ni AndroidAuto (les interfaces smartphones d'Apple et Google, ndlr).

Tesla a développé son propre système d'exploitation (ou OS pour operating system) qui permet de contrôler l'ensemble du véhicule, logiciel et hardware, dans un univers totalement propriétaire. Stellantis va-t-il suivre cette voie ?

Il y a des constructeurs qui ont fait des annonces sur le choix d'un OS propriétaire ou non. Nous pensons au contraire qu'il y a plusieurs OS dans une voiture, ceux qui opèrent en temps réel, et d'autres qui sont davantage multimédia et ne sont pas nécessairement dans une action en temps réel. Par exemple, il n'est pas possible de commander un ABS ou un airbag à travers un OS qui n'est pas en temps réel. Nous considérons donc que ce qui est différenciant, ce ne sont pas ces différentes briques d'OS mais leur combinaison et la couche applicative qu'on crée au-dessus. Nous allons donc plutôt travailler sur des OS déjà existants, ou en cours de développement. C'est d'ailleurs le sens de notre partenariat avec Foxconn que de se focaliser sur cette couche applicative. Notre choix est donc d'être propriétaire de cette pile logicielle qui opère au-dessus de ces OS. C'est beaucoup plus compétitif.

Cette semaine, Mercedes a reçu une homologation pour commercialiser une voiture autonome de niveau 3. C'est un véritable enjeu pour vous, constructeurs, d'apporter une réponse sur le champ des possibles qu'offre la voiture autonome. Là encore, n'est-ce pas les GAFA qui sont les mieux placés avec leurs contenus ?

La valeur ajoutée n'est pas d'apporter le contenu adapté mais de le créer. Les anglo-saxons appellent ça la troisième pièce. Après le salon et la chambre à coucher, la voiture est comme une pièce à vivre où les clients consomment des contenus multimédias. Aux Etats-Unis, nous proposons déjà des contenus pour les places arrières avec Amazon. Pour autant, le business model dépendra de ce que les constructeurs mettront en place avec les éditeurs de contenus à travers des partenariats dans le respect des réglementations et en toute sécurité.

Comment allez-vous organiser votre équipe ? Certains groupes, comme Volkswagen, ont décidé de créer une entité à part afin de ne pas polluer le travail des équipes d'ingénieurs par les rigidités classiques d'un constructeur automobile. En somme de se doter d'un esprit startup pour ne pas étouffer la créativité et attirer des talents...

Nous allons constituer un groupe conséquent de 4.500 ingénieurs, dont un millier en interne que nous allons former. L'idée est que ce noyau travaille uniquement sur nos trois architectures Software, et ne soit en aucun cas absorbé par des contraintes de mise à jour de l'existant, ou de lancements de véhicules en cours. Ces aspects-là resteront au sein des équipes d'ingénierie. L'enjeu est bien de créer cette capacité à exécuter ce projet Software. Cela nécessite des compétences en interne. Mais nous allons compléter ce dispositif par des partenariats pour bénéficier d'expertises extérieures et aller plus vite. La structure s'appelle SWX, elle a bien entendu pour vocation d'être une structure capable d'avoir le recul et la créativité nécessaire pour favoriser l'innovation.

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