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Opinion | Automobile : le grand saut dans l'électrique - Les Échos

Depuis plus de 35 ans, l'Europe essaie d'enclencher la conversion du secteur automobile vers l'électrique. Les recherches internationales montrent que le seul effet qu'ont eu les politiques développées, c'est de réussir à améliorer le moteur thermique. Résultat : en 2016, l'électrique et l'hybride ne représentaient toujours que 1 % des ventes au niveau mondial. Fin 2021, 6 ans après, ils représentent plus de 8 % au plan mondial et en Europe, un peu plus de 40 % des véhicules immatriculés ne sont déjà plus des voitures à essence.

Comment expliquer ce basculement qui peut paraitre brutal au regard des 35 ans d'inertie qui ont précédé ? Pour mieux comprendre ces situations de basculement, la recherche utilise la notion de "verrouillage des systèmes sociotechniques". Après stabilisation, les secteurs industriels se figent sur un mode de fonctionnement donné, autour de technologies et de modèles économiques dominants ? Ces systèmes sont très difficiles à modifier de façon brutale. Ils évoluent très lentement, de façon incrémentale, en intégrant les innovations les plus compatibles avec le système déjà en place. Or, il ne suffit pas de décréter un déverrouillage pour que celui-ci s'enclenche. 

On peut analyser l'inertie du secteur automobile durant 35 ans comme une situation de verrouillage autour de points de blocage à plusieurs niveaux : les difficultés liées au transfert de la valeur du véhicule, du moteur vers la batterie, technologie maitrisée à l'époque à 90 % par l'Asie ; le remplacement d'un moteur thermique composé de 2000 pièces et nécessitant des révisions tous les 20 000 km par un moteur électrique composé de 150 pièces et impliquant des révisions tous les 200 000 km ; et surtout, les impacts de ces deux changements sur le modèle économique de tout le secteur.

Comment l'Europe a-t-elle finalement réussi à déverrouiller la situation en seulement 6 ans ? Notre recherche montre que cela n'aurait pas été possible si un scandale planétaire n'avait pas enclenché 3 paliers successifs de transformations spécifiques ayant réussi elles-mêmes à enclencher deux électrochocs politiques. Chaque palier rendant possible le palier suivant.

Le premier palier de transformation correspond à la période 2015-2017. Cette période est marquée par l'impact du Diesel Gate et la guerre contre les pollutions dans les centres-ville. Certains pays précurseurs commencent à fixer des dates d'arrêt de la vente de voitures neuves thermiques, ce qui apparait très avant-gardiste à l'époque. Les constructeurs répondent à la crise engendrée par le Diesel Gate avec quelques modèles électriques, mais globalement, ces modèles restent perçus, par les professionnels comme par les politiques, comme un marché de niche marginal.

Le second palier de transformation correspond à la période 2018-2019. La pression de la lutte contre les gaz à effet de serre se fait plus pressante. De plus en plus de pays européens commencent à légiférer pour fixer des dates précises marquant la fin de la vente de voitures thermiques neuves, dont la France pour 2040. L'Europe veut pousser l'électrique, mais est inquiète de la dépendance à l'Asie en matière de batterie. Elle ne veut pas refaire l'erreur des panneaux solaires en boostant une technologie qu'elle ne maitrise pas. Commence à émerger l'idée que l'Europe pourrait prendre le lead sur les batteries de 4e génération, meilleure pour l'environnement. Une filière européenne commence à être initiée. Cette évolution des perceptions rend possible un premier électrochoc européen. Les objectifs de réduction de CO2 fixés en 2019 par l'Europe sont beaucoup plus importants que prévu. Réunions de crise chez tous les constructeurs. Ces objectifs les obligent à intégrer un important pourcentage de voitures électriques dans leur portefeuille de vente de véhicules neufs d'ici 2030. Néanmoins, la voiture électrique reste considérée comme complémentaire. Les hybrides commencent à être perçues comme "la solution".

Le troisième palier de transformation correspond à la période 2020-2021. L'évolution des mentalités et du degré de préparation des constructeurs automobiles rend possible une nouvelle phase de durcissement. Il est difficile d'améliorer le moteur thermique en même temps que basculer vers l'électrique. Émerge donc l'idée qu'il serait préférable d'abandonner le thermique pour atteindre le plus rapidement possible une taille critique sur l'électrique, baisser les coûts, donc les prix et favoriser l'adoption. Ces évolutions de perception rendent possible le second électrochoc européen lors de l'été 2021. La Commission européenne annonce la fin de la commercialisation des voitures thermiques pour 2035. C'est 5 ans avant la date fixée par la majorité des pays européens, dont la France. Des négociations sont encore en cours, mais les perceptions ont évolué durablement. Aujourd'hui la majorité des constructeurs ont complètement modifié leur stratégie pour basculer vers le tout électrique bien avant 2030 (véhicules neufs). Les hybrides sont également largement remis en cause. 

Trois paliers successifs, le précédent rendant possible le suivant, ont donc été nécessaires pour aboutir à cette révolution. C'est un cas d'école. Fait marquant, ce déverrouillage du secteur automobile européen entraine aujourd'hui dans son sillage d'autres parties du monde comme les États-Unis.

Conduire de grandes réformes industrielles dans le cadre des transitions énergétique et environnementale nécessite donc de sortir des schémas classiques pour être plus finement à l'écoute des paliers intermédiaires qu'il est possible d'impulser phase après phase.

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https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-comment-leurope-a-t-elle-reussi-a-faire-basculer-le-secteur-automobile-mondial-vers-la-fin-du-moteur-thermique-1392012

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