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Course à l'électrique : la grande peur de l'automobile italienne - Les Échos

Publié le 27 avr. 2022 à 7:00

La Fiat 500 BEV (Battery Electric Vehicle) est plus qu'une simple voiture, c'est le pacemaker implanté dans le coeur du secteur automobile italien : Mirafiori. Depuis son inauguration en 1939, le majestueux complexe industriel de 2 millions de mètres carrés dans le sud de Turin a produit plus de 35 modèles et environ 30 millions de véhicules.

Un coeur fatigué qui battait de plus en plus faiblement après une trentaine d'années de restructurations et de fermetures d'ateliers. Le virage électrique pris par FCA lui a donné une seconde jeunesse. Juste avant la pandémie, le constructeur automobile, qui a fusionné avec PSA pour donner naissance au groupe Stellantis, avait annoncé 2 milliards d'euros d'investissements dont plus de 700 millions d'euros pour la ligne de production de la Fiat 500 électrique inaugurée en 2020. Environ 1.200 personnes sont dédiées à sa chaîne de montage d'une capacité annuelle d'au moins 80.000 unités.

La révolution électrique

Les cadences vont devoir augmenter. Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a présenté au début du mois son premier plan stratégique. Il vise 100 % de véhicules électriques vendus en Europe et 50 % aux Etats-Unis à l'horizon 2030, soit 5 millions de véhicules contre 200.000 l'an dernier. Tous les lancements en Europe seront des véhicules 100 % électriques à partir de 2026.

« Mirafiori est devenu le centre stratégique du processus d'électrification du groupe, explique Michelangelo Lo Bianco, le responsable ingénierie assemblage de la Fiat 500 électrique. Cette voiture en est l'emblème. Mais ce n'est pas une nouvelle version de l'icône qui a été lancée ici en 1957. Tout est pratiquement inédit du plancher au plafond. Quant à sa construction, ça n'a rien à voir avec ce que j'ai connu en commençant il y a une quarantaine d'années sur les chaînes de montage. C'est un autre monde, j'en suis resté ébloui la première fois. »

Au sens propre. Le monde de l'électrique a transformé l'usine sombre et bruyante du XXe siècle en un atelier baignant dans une lumière blanche aveuglante d'où s'élèvent les bruissements de près de 200 robots qui assurent l'essentiel des opérations. Un ordre parfait règne pour ne pas entraver leur va-et-vient sur des lignes de production dont l'automatisation en Italie a justement commencé à Mirafiori il y a tout juste cinquante ans.

Les ouvriers s'attellent désormais surtout aux travaux de finition d'une voiture ultra-technologique mais aussi à des contrôles pour s'assurer de la fiabilité et de la sécurité des batteries de 400 volts. « La nouvelle Fiat 500 est fabriquée en assemblant 2.700 composants contre 4.000 pour le modèle traditionnel, précise Michelangelo Lo Bianco. Elles n'ont que 4 % d'éléments en commun. »

Un secteur aux abois

L'arrêt de la vente de véhicules neufs à moteur thermique (essence et diesel) est programmé pour 2035 dans l'Union européenne. Une échéance qui a fait l'effet d'une véritable décharge électrique sur la filière automobile transalpine. Elle représente 5,6 % du PIB de la péninsule, avec 5.156 entreprises (majoritairement des PME) qui emploient plus de 268.000 personnes pour un chiffre d'affaires total de 93 milliards d'euros en 2019.

Elle craint désormais pour son avenir et en particulier celui des équipementiers déjà en surtension à cause de la pénurie de semi-conducteurs et de l'explosion de la facture énergétique. « Il n'y a pas de plan stratégique pour le secteur, dénonce Corrado La Forgia, vice-président de la fédération Federmeccanica. Il y a vingt-cinq ans, l'Italie produisait annuellement près de 2 millions de véhicules. Ils n'étaient que 700.000 en 2021, dont à peine 500.000 voitures. La fabrication d'un moteur électrique requiert 60 % de main-d'oeuvre en moins qu'un diesel et 40 % en moins qu'un moteur à essence. Que vont devenir les sous-traitants, les fournisseurs de pièces sous capot, d'essieux, d'arbres de transmission, les fonderies pour moteurs à combustion ? »

Les premiers licenciements sont déjà programmés

Une question qui taraude le ministre de l'Industrie, Giancarlo Giorgetti. Il a tiré la sonnette d'alarme sur la casse sociale que provoquerait une trop rapide transition électrique avec la suppression de 73.000 emplois en Italie. Les équipementiers ont déjà programmé les premiers licenciements : 442 chez GKN Driveline près de Florence, 152 chez Gianetti Ruote à Monza, la totalité des 106 employés de Timken à Brescia… L'usine Bosch de Bari, qui produit des composants pour les systèmes d'alimentation des moteurs diesel et essence, prévoit 700 départs d'ici à cinq ans.

Une liste qui ne cesse de s'allonger. Le gouvernement Draghi estime ainsi que l'horizon 2035 n'est pas réaliste et demande à la Commission européenne de changer de rythme et de cap pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone. La voiture de demain sera électrifiée mais aujourd'hui, il convient de ne pas fermer la porte aux modèles hydrogène ou hybride, plaide Giancarlo Giorgetti. En attendant, un plan de soutien pour le secteur a été annoncé avec 1 milliard d'euros par an au cours des huit prochaines années.

Les équipementiers demandent un plan stratégique

Un airbag qui ne convainc pas tout le monde. « Ces aides de l'Etat ne serviront à rien. Cette transition électrique est une idiotie, tonne Pier Mario Cornaglia, à la tête d'une entreprise familiale plus que centenaire. Je ne peux pas me reconvertir, je ne peux que jeter mes machines dans les eaux du Pô. » Il fournissait notamment les usines de Mirafiori en carters d'huiles, systèmes de frein et pots d'échappement. Des 600 ouvriers qui animaient l'un de ses sites de production à Turin dans les années 1960, il n'en reste déjà plus que 130.

« C'est hypocrite car on parle de transition écologique alors que nous allons exploiter les ressources naturelles des pays pauvres à l'autre bout du monde pour construire les batteries sans savoir comment on va les recycler, fustige Pier Mario Cornaglia. Sans parler de l'absence de bornes pour recharger les voitures. Ce qu'il faut, c'est un plan stratégique pour l'avenir du secteur automobile en réunissant tous ses acteurs au niveau international. Nous nous sommes mis au service ces dernières années de la production de camions et de tracteurs pour laquelle la fin des moteurs thermiques est prévue en 2040, mais ce n'est qu'un sursis. »

Iveco prône le mix technologique

Un calendrier qui ne gêne pas l'un de ses clients, à condition de ne pas miser que sur l'électrique. Iveco est un constructeur de véhicules industriels et de bus basé à Turin et qui vient de faire son entrée à la Bourse de Milan après sa scission de CNH Industrial. « C'est indispensable que les horizons fixés pour la transition électrique soient respectés et donc réalistes, affirme son président Gerrit Marx. Mais il ne faut pas être extrémiste en ne misant que sur une technologie pour atteindre la neutralité carbone. L'usage et les besoins d'un poids lourd ne sont pas les mêmes qu'un bus ou qu'un véhicule de livraison. Il faut trouver pour chacun la technologie ou le carburant alternatif qui lui convient le mieux. »

Parmi les clients d'Iveco, leader européen en matière d'autobus fonctionnant au GNV, figurent la métropole de Lille ou encore la RATP parisienne. Le constructeur est numéro 1 sur le marché français. Il produit dans son usine de Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire ses moteurs Cursor 8 NP et assemble autobus et autocars de tourisme dans celle d'Annonay en Auvergne.

En décembre dernier, Amazon a acquis 1.064 Iveco S-Way NP pour verdir les flottes européennes de ses transporteurs. Dans le sillage de son partenariat avec Nikola Corporation, le groupe italien produira et commercialisera des poids lourds 100 % électriques (BEV) et électriques à pile à combustible à hydrogène (FCEV) conçus pour l'Europe. Son plan stratégique prévoit également le développement cette année de moteurs au gaz de nouvelle génération qui fonctionneront au biométhane.

En 2023, viendra celui de la nouvelle génération de ses fourgons Daily Electric. Des solutions hybrides légères seront mises au point pour les véhicules diesel et GNV. En 2024, un nouvel essieu électrique pour poids lourds longue distance BEV et FCEV sera conçu. En 2030, Iveco achèvera l'implantation de technologies électriques ou hybrides sur tous ses véhicules pour réduire de 50 % ses émissions de CO2.

« La préservation d'intérêts financiers et industriels freine la transition écologique, déplore Gerrit Marx. La voie tracée demeure l'électrique, mais on ne pourra pas tout électrifier et pour ce qui continuera à fonctionner au carburant, il faut s'assurer qu'il soit propre. On en produit déjà à base de déchets agricoles ou plastiques. Ça n'a pas de sens d'entendre les politiciens promettre le tout-électrique. D'où vient l'énergie ? Que faire ensuite des batteries usagées ? Les partisans de l'une ou l'autre technologie me font penser aux lobbys du tabac qui s'offraient des études dans les années 1990 pour démontrer qu'ils avaient raison. Il faut voir la réalité en face et relever le défi d'une nouvelle manière de penser. Mais il faut faire vite, car nous n'avons pas de temps à perdre. La rapidité de réaction et d'adaptation doit être notre carburant ! »

L'Italie accuse un sérieux retard d'infrastructures

En la matière c'est plutôt la panne sèche du côté du gouvernement italien. 236.000 véhicules électriques circulent actuellement dans la péninsule, qui devraient devenir 6 millions en 2030 et 19 millions en 2050 si la feuille de route de la Commission de Bruxelles est respectée.

Or, selon le rapport de l'Association des constructeurs européens d'automobiles, 76 % des bornes de recharge sont concentrées dans 4 pays : Pays-Bas, France, Allemagne et Royaume-Uni. Avec seulement à peine plus de 26.000 points de recharge, l'Italie est en bas de classement. Elle en prévoit plus de 3 millions privés et environ 100.000 dans les lieux publics d'ici à 2030. Mais aucun plan précis n'a encore été établi pour atteindre un objectif auxquels 740 millions d'euros du plan de relance européen devraient être consacrés.

C'est donc au secteur privé qu'il conviendra de faire les premiers efforts. Stellantis va ainsi développer en partenariat avec la start-up italienne TheF Charging un nouveau réseau de 15.000 emplacements de recharge et 2 millions de places de stationnement entre 2021 et 2025. Un troisième chantier de gigafactory en Europe sera également lancé sur le site de Termoli, dans le sud de l'Italie. Un investissement de près de 3 milliards d'euros pour construire une usine géante de batteries avec plus de 2,5 milliards débloqués par le constructeur automobile et une participation gouvernementale d'environ 370 millions d'euros.

L'avenir du secteur automobile en Italie est en question

« La transition électrique reste encore à écrire », insiste Corrado La Forgia, vice-président de Federmeccanica, qui demeure convaincu que l'innovation technologique détruira des emplois mais va aussi en créer. « Mais on n'est pas sûr qu'ils le seront au même moment et au même endroit où ils seront détruits. Il faut être attentif à ces deux dimensions mais surtout guider cette transition en sachant où on va avec une table ronde réunissant le gouvernement et tous les acteurs du secteur. »

Federmeccanica regrette que l'Italie ne dispose pas des grands constructeurs ni ne bénéficie des investissements en nouvelles technologies qu'on observe en France et en Allemagne pour préparer l'avenir. « Qu'est-ce que notre pays sera en mesure de produire dans les prochaines décennies, s'interroge Corrado La Forgia, mais surtout considère-t-on encore l'industrie automobile comme primordiale pour notre pays ? »

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