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"Michelin à la conquête de l'automobile" : un livre pour rappeler le rôle de Michelin chez Citroën et les autres - Challenges.fr

Il n'y a rien de plus banal et agaçant qu'un pneumatique. Songez que cet objet d'une laideur confondante s'obstine depuis près de cent vingt ans à s'user, à crever parfois et, toujours, à coûter fort cher à un automobiliste qui ne demande rien mieux que l'oublier. C'est bien simple, s'il n'y avait la figure amicale de Bibendum pour attendrir les plus jeunes et les enjeux de la compétition pour titiller l'intérêt de leurs aînés, le pneumatique serait tenu dans la même estime que les carburants et les lubrifiants, ces maux nécessaires.

Pas convaincus ? Faites le test. Proposez à votre progéniture la visite d'un musée qui retracera, au choix, l'histoire de l'automobile ou bien celle du pneumatique. Il y a fort à parier que les moteurs, leur furie et l'allégorie de la vitesse recueilleront les suffrages au détriment du triste bandage de caoutchouc, de sa chimie absconse et du secret des laboratoires.

L'histoire de Michelin, c'est aussi celle des pionniers de l'automobile

Dans le cas du musée de L'Aventure Michelin à Clermont-Ferrand cependant, ce serait commettre une grave erreur. Car les mille pièces du patrimoine que le manufacturier expose sur 2.000 m² à deux pas de son usine historique décrivent non seulement l'évolution de la technique du pneumatique, mais aussi celle de l'automobile, de l'aviation et du rail. Sans parler d'une plongée dans le monde fascinant de la publicité et des produits dérivés, de la cartographie et de la signalisation routière, ou des guides touristiques et gastronomiques. 

C'est tout cela et plus encore que raconte Patrice Vergès pour qui "la difficulté était de compiler toutes les informations en apportant un regard neuf, car beaucoup de livres ont été écrits sur le sujet". L'auteur a dès lors choisi de consacrer son étude à un aspect plus méconnu de l'histoire de Michelin, dans son rôle de constructeur automobile. Son nom fut intimement associé à celui de Citroën et, par extension, à ceux de Panhard, de Maserati et de Berliet.

Michelin, sauveur de Citroën mais assassin de Panhard

Au fil de 240 pages passionnantes, Patrice Vergès nous plonge dans le secret des relations intimes et insoupçonnées nouées entre les Michelin et les dirigeants des grands constructeurs automobiles. L'auteur nous donne à voir le rôle joué par la maison dans la dépossession d'André Citroën de ses usines en 1935 comme celui, capital, de Pierre-Jules Boulanger dans le sauvetage de la "Traction". Tout ceci à une époque où il fallait ménager la susceptibilité des autres constructeurs, tous clients de Michelin. Il révèle ainsi que ce sont les Michelin qui financèrent durant quarante années l'expansion de Citroën tout en laissant libre cours aux études les plus farfelues et les plus géniales. Un gouffre financier de toute beauté.

Le lecteur qui ne serait pas familiarisé avec les écrits de Jacques Wolgensinger, de Fabien Sabatès ou bien encore de Roger Brioult trouvera dans le récit de la longue gestation de la Citroën 2 CV tout le rocambolesque auvergnat et la gouaille parisienne qui s'exprimèrent lors des expérimentations les plus folles. Mais les Trente Glorieuses réservèrent aussi quelques moments sombres. Patrice Vergès rappelle comment la Panhard 24 échoua dans sa mission à combler le trou béant dans la gamme Citroën entre la 2 CV et la DS.

Michelin, au cœur d'une première tentative de rapprochement transalpin

Et c'est tandis qu'on s'efforçait à Javel de fiabiliser la "grande" DS, de réduire les coûts de production de la "petite" 2 CV et d'imaginer une "moyenne" rentable (celle qui allait devenir la GS, en 1970), que Pierre-Louis Dreyfus, P.-D.G. de Renault approcha François Michelin avec l'intention de racheter Citroën. Un épisode méconnu des grandes manœuvres qui conduiront la Régie à s'associer à Peugeot autour de l'étude d'organes mécaniques, Citroën à se rapprocher de Fiat et de Maserati, puis le Lion à finalement mettre la main sur le Double Chevron en 1974, suite à un spectaculaire retournement de situation.

Où l'on prend la mesure du fossé creusé entre l'état-major de Fiat et celui de Citroën : "Tout les séparait", résume P. Vergès. "Le modernisme face à la rigueur, la rentabilité contre la technique. […] D'un côté, l'Avoccato italien bronzé qui arrivait le matin à l'usine en hélicoptère, étroitement moulé dans un costume sur mesure ; et de l'autre, le Français au volant de sa 2 CV, en gabardine, une grande écharpe autour du cou, qui pointait au poste de garde de l'usine. Les deux bureaux d'études ne réussiront qu'à imaginer un utilitaire commun qui sortira en 1973 sous le nom de "C35", animé par un moteur transversal dont la boîte de vitesses équipa de nombreux véhicules de la gamme PSA Fiat Lancia pendant une vingtaine d'années."

Les innovations Michelin font progresser la sécurité des automobiles

De nombreuses anecdotes, méconnues ou carrément inédites émaillent le récit de Patrice Vergès. Citons le coup de force qui permit à Michelin d'imposer à Ferrari ses gommes à structure radiale et qui donna le coup d'envoi d'une suite ininterrompue d'innovations en compétition. Autre exemple, le pneu chauve ou "slick", conçu pour augmenter l'adhérence sur circuit par temps sec. Ou bien le pneu à flanc bas qui permit d'accroître le diamètre de la jante et, par conséquent, celui du disque de frein.

Michelin à la Conquête de l'Automobile offre un tour d'horizon étonnamment complet de toutes les activités de l'entreprise sous un angle historique à la fois rigoureux et passionnant. L'auteur sacrifie au rituel d'une évocation des temps glorieux des pionniers et il prend un plaisir évident à décrire la rigueur avec laquelle on traquait le moindre gaspillage, des ateliers jusqu'aux bureaux. Classique. Tout ceci tient du folklore propre à régaler les enfants et les époux des "Bibs" (ainsi qu'on surnomme les collaborateurs de l'usine), toujours curieux d'en apprendre davantage sur une maison encore bien secrète mais les amateurs d'automobile et d'histoire industrielle y trouveront eux aussi leur compte. Un signe qui ne trompe pas : notre éminent confrère du magazine Citroscopie reconnaissait le mois dernier avoir appris beaucoup en lisant les travaux de Patrice Vergès. Un compliment, assurément.

Des anecdotes à la pelle

Pourquoi le pneu est-il noir ? Le noir de carbone fut introduit par l'Américain Goodrich pour bloquer les ultraviolets qui dessèchent le caoutchouc. Auparavant, les pneus étaient de teinte blanchâtre, qui tirait sur l'ivoire à mesure qu'ils vieillissaient. La mode des pneumatiques à flancs blancs apparut durant les années 1920 aux États-Unis au moment où le noir de carbone s'imposait et enlaidissait les roues des automobiles les plus chics.

Contrairement à ce qu'on pense généralement, les frères Michelin ne sont pas crédités de l'invention du pneumatique (cet honneur revient au vétérinaire anglais John Boyd Dunlop) mais seulement du pneumatique démontable. En quinze minutes seulement, ce qui constitue à l'époque un progrès décisif qui épargne de longues heures d'attente durant le séchage de la colle.

Au début, les réticences sont grandes chez les pionniers de l'automobile à l'égard des pneumatiques. On les estime dangereux en cas de crevaison et, surtout, on craint de rester immobilisé en rase campagne lorsque la provision de bandages se sera épuisée… Persuadés que les atouts de confort et d'économie de marche illustrés en 1895 et 96 durant les grande raids de Paris à Bordeaux, de Bordeaux à Agen et de Marseille à Nice l'emporteront sur les inconvénients relatifs du pneu, les frères Michelin achètent six mois de production de voiturettes Léon Bollée et de tricycles à pétrole De Dion Bouton. En les chaussant de roues garnies de pneumatiques, Michelin espère amorcer le marché et convaincre des pionniers d'influence. Pari réussi puisqu'il faut moins de six mois pour écouler le stock. En 1899, pratiquement tous les constructeurs se seront convertis au pneumatique.

Pourquoi des jantes Michelin ? C'est pour asseoir définitivement la réputation d'endurance de ses pneumatiques que Michelin se lance dans la fabrication des roues tout-acier ,à une époque où la majorité des automobiles circulent sur des jantes en bois deux fois plus lourdes et moins résistantes, héritées d'un savoir-faire ancestral. Mieux assis sur une jante moins fragile, le pneu travaille mieux et endure mieux les aléas de la route. Le cercle vertueux.

Infos pratiques

Titre : Michelin, à la conquête de l'automobile 
Auteur : Patrice Vergès, aux éditions ETAI.
240 pages, 610 illustrations couleurs et N & B, format : 235 x 310 mm. Prix public : 42,00 euros.

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