Luca de Meo, vétéran de l'automobile, passé par Toyota, Fiat, Audi et Seat, a réussi depuis 2020 à redresser un groupe éprouvé par de multiples crises, notamment l'arrestation de son ancien PDG Carlos Ghosn et la distanciation avec son ancien partenaire Nissan.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Les élections européennes ont lieu aujourd'hui. L'interdiction de ventes des voitures thermiques neuves en 2035 suscite des interrogations à Bruxelles. Qu'en pensez-vous ?
LUCA DE MEO - Un retour en arrière se traduirait par un refus du progrès. Car la voiture électrique est un meilleur choix pour l'environnement. C'est une certitude. En outre, l'industrie automobile, qui repose sur des choix technologiques de temps long, s'accommode mal de brusques mouvements de balancier. Beaucoup d'interlocuteurs nous expliquaient il y a trois ans que ne pas opter pour l'électrique entraînerait la disparition du groupe. Les mêmes nous demandent aujourd'hui si notre stratégie dans ce domaine est pertinente. Or des entreprises telles que Renault ne peuvent pas virer de bord en un clin d'œil. Nous sommes un paquebot, pas un hors-bord. Nous avons besoin de perspectives cohérentes et de mécanismes d'ajustement, si nécessaire.
À quels obstacles vous heurtez-vous ?
Le débat en cours part dans toutes les directions, ce qui n'est pas rassurant. L'écosystème tout entier doit nous aider à atteindre nos objectifs. Si on n'installe pas des superchargeurs sur les autoroutes, il est difficile de vendre de voitures électriques. Si le prix de l'électricité ne peut être garanti, nos clients remettront en question leur décision d'achat. Les infrastructures de recharge sont pour l'instant concentrées à 80 % aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. En Italie, ou en Espagne, entre autres, elles demeurent inexistantes. La transition énergétique est un sport d'équipe. Elle exige une coordination des différents secteurs industriels.
Dans ce contexte, redoutez-vous le résultat du scrutin ?
Ce qui m'inquiète, c'est que l'Union européenne n'ait pas défini une politique industrielle pour l'automobile. Et que ce secteur ne figure pas parmi ses priorités. C'est incompréhensible. Il représente 10 % du PIB européen et emploie 13 millions de personnes dans l'UE. Sans l'automobile, la balance commerciale de l'Europe serait structurellement négative. Il faut décarboner les transports et rendre les véhicules électriques plus accessibles, pour faciliter leur achat. Concilier les deux est possible. Nous avons bien réussi à redresser Renault en quatre ans !
En effet, le groupe allait mal à votre arrivée. Vos résultats font l'unanimité. Comment y êtes-vous parvenu ?
Le groupe est passé du pire résultat de ses cent vingt-cinq ans d'histoire au meilleur jamais enregistré. Ce n'était pas gagné. Beaucoup n'y croyaient pas. Mais c'est encourageant : on a besoin d'espoir en Europe. Il a fallu fixer un cap, revoir l'organisation et prendre des mesures de bon sens. Dans ce secteur complexe, tomber très bas n'empêche pas de se relever de façon spectaculaire. C'est une industrie d'extrêmes... En revanche, avoir l'arrogance de penser que l'on peut changer la culture d'une entreprise de plus d'un siècle serait absurde. Elle ne peut qu'évoluer. Renault reste une marque populaire avant tout.
Votre management a-t-il joué un rôle dans ce redressement ?
Je n'ai pas de potion magique, mais il est vrai que ce n'est pas la première fois dans ma carrière que j'arrive à redresser la barre. Je cherche toujours à identifier les problèmes : ce sont les situations où l'on apprend le plus et où on peut faire la différence. Mon objectif est que le groupe soit armé pour affronter le futur, entre autres grâce à la technologie. Mais, là encore, le collectif prime. La dynamique est très positive au sein du groupe. Les ingénieurs de Renault ont retrouvé leur fierté. Dans moins de deux ans, 18 nouveaux modèles feront leur apparition. Et devraient générer une performance encore meilleure.
Ce redressement ne s'est pas effectué sans dommages...
Nous avons mené un travail de restructuration très important, avec des conséquences sociales. C'était malheureusement indispensable pour sauver le groupe. Nous avons néanmoins réussi à trouver une solution de reconversion pour toutes nos usines en France. Et le nouvel écosystème industriel dans le Nord a bénéficié d'un investissement total d'environ 20 milliards d'euros. C'est un effort immense, y compris en comparaison avec le montant global des investissements internationaux dans le pays.
La Renault 5, fabriquée en France, devrait être commercialisée en septembre à partir de 25 000 euros. D'autres constructeurs estiment qu'être compétitif en France est impossible. Quelle est votre recette ?
Tout le monde nous a dit d'aller au Maroc ou en Turquie... Je pense au contraire que la relocalisation permet de transformer tout un système. Pour parvenir à ce prix, nous fabriquons la R5 en neuf heures, là où normalement il en faudrait vingt. Nous avons cherché à réduire les coûts dans tous les domaines, de façon à pouvoir absorber le coût du travail, plus élevé ici.
L'âge moyen des acheteurs de véhicules neufs recule en France à 55 ans. Les jeunes se détournent-ils des voitures ?
Non, je ne le crois pas. Mais les débats de société portent davantage sur les retraites que sur le pouvoir d'achat des jeunes, qui est pourtant un sujet fondamental. Et l'une des raisons majeures pour laquelle ils n'achètent pas de voitures. Un autre facteur négatif est lié au coût d'entretien. Il y a quinze ans, il s'élevait à 3 500 euros par an. C'est 10 000 euros en 2024. Tous les frais ont augmenté, y compris ceux des parkings ou des assurances. Cela devient insoutenable.
Comprenez-vous les attaques contre les SUV ?
Les SUV sont les modèles qui se vendent aujourd'hui. Ces critiques sont assez paradoxales, car le choix de l'électrique engendre ce type de véhicules hauts, puisque la batterie doit se situer en bas, alors que nous aurions besoin de véhicules bas pour l'aérodynamisme. Les batteries ne doivent pas être trop lourdes, sinon ce serait une aberration écologique. La réglementation européenne actuelle favorise la production de grosses voitures, alors qu'il faudrait encourager les acheteurs à s'orienter vers de petits modèles.
La Chine est en avance dans l'électrique. Vous avez décidé, comme certains de vos concurrents, d'y nouer diverses alliances. Pourquoi ?
J'ai toujours dit qu'il fallait développer les relations commerciales avec ce pays. Quand Volkswagen est allé en Chine il y a vingt ans, des coentreprises ont été créées pour pouvoir vendre des voitures sur place. Ils ont pris de l'avance sur la chaîne de valeur de l'électrique. Nous avons besoin d'eux. Nous avons besoin de coopération.
Faut-il, comme l'ont décidé les États-Unis, prendre des mesures de protection contre les véhicules électriques chinois sur le marché européen ?
Peut-être est-ce utile à court terme. À long terme, en revanche, le protectionnisme reste très dommageable. Le plan américain, l'IRA [Inflation Reduction Act], n'aidera pas l'industrie américaine dans la durée. Ce dont nous avons besoin avant tout, c'est d'une coordination de la politique européenne. Tout le problème résulte de la fragmentation de l'Europe. Elle nous tue. Nous avons besoin de l'Europe pour produire à l'échelle, parce que les Chinois, eux, le font déjà. Comme je le dis souvent, les Américains stimulent, les Chinois planifient, les Européens réglementent.
Renault en chiffres
38 sites industriels dans le monde
2,2 millions de véhicules utilitaires et particuliers vendus en 2023 dans le monde
49,3% du chiffre d'affaires réalisé en Europe
52,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2023 (+13,1% )
105.000 salariés
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